Craquements stratégiques


En Afrique, 2015 sera une année d’élections législatives (Nigeria –février ; Soudan et Bénin en avril ; Ethiopie en mai ; Burundi en juillet, Tanzanie en octobre) et présidentielles (Zambie en janvier, Nigéria en février, Soudan en avril ; Burundi et RCA en juillet ; Côte d’Ivoire et Tanzanie en octobre ; Guinée Conakry et Burkina Faso en novembre).
En Libye, la situation se complique fortement, particulièrement en Tripolitaine où les forces djihadistes des Frères musulmans de Misrata et les fondamentalistes de Tripoli s’allient tandis que les Touaregs les rejoignent et les Berbères pourraient le faire. Si tel est le cas, la frontière Tunisienne et Algérienne bascule…. La prise de contrôle des hydrocarbures de tripolitaine par les islamistes pose d’autant plus problème que les islamistes ont tenté de prendre le contrôle des terminaux de Ras Lanouf, d’Al Sedra et de Brega (Cyrénaïque)… En Cyrénaïque, l’Egypte soutient les forces du général Khelifa Haftar contre les islamistes de Benghazi et de Derna (ayant fait allégeance à EI). Officiellement, la France n’interviendra pas en Libye (FH à RFI) mais des forces spéciales françaises ont d’ores et déjà été déployées.
L’Algérie est devenue incontournable dans la résolution de la situation en Libye mais aussi au Mali. La France le reconnait (Jean-Marie Guéhénno à Alger). Les affrontements du premier week-end de la nouvelle année et du lundi suivant à Nampala (frontière Mauritanienne) démontrent que rien n’est résolu. Le leader d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali est inféodé au DRS (services secrets algériens) qui craint par-dessus tout la création d’un Etat aux confins du Mali susceptible d’alimenter les revendications des propres minorités algériennes (Berbères, Kabyles, Touaregs) tandis qu’Alger abrite les négociations entre les différentes factions maliennes… Certains islamistes algériens se sont rendus au nord-Mali auprès de katibas pour négocier un ralliement à EIIL. Enfin, l’élection en Tunisie de Bej Cadi Essebssi (proche du clan Bouteflika) renforce encore le poids d’Alger. (et choix de Habib Essid, ancien ministre de l’intérieur tunisien au poste de PM).
Au Nigeria, Boko Haram a fait allégeance à EI tout en augmentant ses opérations et son assise, y compris au-delà des frontières du Nigeria (Cameroun, Niger, Tchad). Les élections de février 2015 devraient voir une intensification des opérations de ce groupe. Le Niger est désormais pris en étau entre Boko Haram et les islamistes du sud libyen.
En RCA, l’armée Française n’a pas réussi à stopper les massacres entre les rebelles de la Séléka (majoritairement musulmans) et les milices anti-balaka (essentiellement chrétiennes) ; massacres apparus avec le renversement du régime du Président Bozizé en mars 2013 par les Séléka. Après un an de présence (05/12/2013), les 1950 soldats français de la force Sangaris amorcent un repli. Ce retrait, annoncé fort discrètement, se fait alors que le pays est dans une situation chaotique absolue. Certes, l’ONU compte 8 600 casques bleus (+ arrivés prochaine de bataillons angolais), mais la séléka devrait profiter du retrait des forces françaises. L’Ouganda et le Congo (médiateur officiel) soutiennent Bozizé. Surtout, la France a sous-estimé la complexité de la situation (« une opération rapide qui n’a pas vocation à durer ») et n’a pas fourni l’accompagnement politique et diplomatique en appui de l’intervention militaire.
En Arabie Saoudite, JYLD a rencontré le roi d’Arabie Saoudite (très amaigri et qui a dû être ré-hospitalisé) ainsi que le Prince Héritier Aziz puis les principaux interlocuteurs défense saoudiens (Intérieur, Affaires Etrangères, Garde Nationale, Défense). Au menu, sujet diplomatique (crise syrienne, irakienne, lutte contre le terrorisme) mais aussi relation bilatérale de défense. Le sujet contrat d’armements saoudiens a été abordé, notamment les patrouilleurs. Accord aussi sur contrat Liban qui devrait être notifié (VAB, Gazelle, missiles anti-char HOT, Puma, Artillerie, patrouilleurs, moyens de renseignements et de communications). Mais, au-delà des négociations sur ces accords, se pose la question de la donne politique. Si les apparences désignent le prince héritier Salman Ben Abdelaziz (80 ans) comme successeur au Roi ; les tensions politiques actuellement à l’œuvre à Riyad confinent à la crise de régime. Souffrant de la maladie d’Alzheimer, le prince héritier ne pourra exercer le pouvoir… De là, la nomination du prince Mokran comme deuxième prince héritier. La problématique du Califat est toujours actuelle : la succession du roi Abdallah est porteuse de troubles pour les temps à venir.
En Iran, la situation se tend entre le gouvernement de Hassan Rohani (défini comme modéré) et les conservateurs au point que le Président iranien menace de consulter le peuple par référendum (prévu par la Constitution) afin de pallier à l’hostilité et l’opposition du parlement. L’objet des discordes concerne le développement économique, lui-même lié à la question nucléaire : « le pays ne peut se développer de manière constante dans l’isolement ». Un référendum sur cette question pourrait donc voir le jour. Mais la réalité des tensions politiques provient d’une mesure fiscale : le président Rohani veut revenir sur l’exonération d’impôts des dignitaires religieux et militaires… arme financière utile dans le bras de fer qui l’oppose aux conservateurs sur nombres de mesures.
En Chine, d’importantes sorties de capitaux ont lieu dépréciant le RMB mais démontrant aussi l’inquiétude sur la situation économique réelle du pays. De là, une perspective de faiblesse continu de l’investissement et donc de la croissance chinoise. Changement de modèle de croissance économique et de société en cours. En parallèle, l’épargne chinoise est en train de se transférer massivement en bourse avec des effets de levier, donc à crédit, renforçant la constitution d’une bulle spéculative. Au niveau géopolitique, la Chine adopte une stratégie englobante inverse à celle des Etats-Unis, allant de l’Asie vers l’Europe.
En Russie, la chute des cours de pétrole provoque non seulement une importante récession économique et un déficit budgétaire, mais plus encore si cette chute perdure au-delà du premier trimestre, une crise bancaire majeure…
En Grèce, l’élection du 25 janvier est importante. Théoriquement, le choix des Grecs semble évident : le vote pour Syriza. Le PIB a baissé de 25%, à l’identique du pourcentage de la population au chômage. Le niveau de dettes est au plus haut, malgré deux restructurations. Alexis Tsipras indique ne pas vouloir quitter la monnaie unique (posture visant à rassurer les électeurs ?) malgré son programme (renégociation de la dette à hauteur de 50%, hausse du SMIC et fin des politiques d’austérité). En cas de désaccord de la troïka, Athènes pourrait sortir de la monnaie unique (quid de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie, et de l’Allemagne ?) et entrainer de violentes spéculations sur l’euro. De ce fait, l’UE pourrait être tentée d’accepter une nouvelle renégociation ainsi qu’un assouplissement des politiques budgétaires. Mais en ce cas, quid de l’Allemagne ? Retour du deutsche mark ? Nous ne pouvons pas exclure également que le gouvernement actuel l’emporte sur le fil ou qu’un accord sauvant la face de tous soit trouvé.
Aux Etats-Unis, les rapports d’analyse financière montrent que désormais la dette des entreprises américaines (hors secteur financier) croît plus rapidement que leur cash-flow. Fait nouveau, la dette américaine (18 000 milliards de $ pour la dette de l’Etat fédéral et 59 000 milliards de $ pour la dette globale, publique et privée) est désormais aussi détenue en interne par des fonds de pension. La chute du Yen et de l’Euro devrait dans un premier temps favoriser le dollar (premier semestre 2015) accentué par la peur… Il y aura une hausse du coût de la dette donc des défauts : forte probabilité de renégociation de dettes…
Au final, au-delà des éléments décrits ci-dessus, nous assistons à la fin du système monétaire actuel (la devise est ce qui libelle toute l’économie) : le yen est moribond, le dollar n’est plus qu’une monnaie d’apparence/apparat en tant que monnaie internationale, le RMB plonge, l’euro est en crise et au bord de l’éclatement depuis 2008 … La dé-dollarisation des échanges internationaux est en marche (Inde, Turquie, Iran, Russie, Chine, …).
Il faut un changement de système monétaire, passant d’une monnaie nationale de référence (le dollar) à une monnaie « globale ». Nous devons l’anticiper, y réfléchir et le proposer. La Chine s’y prépare, notamment par ses investissements publics et privés dans l’or physique.

Tour d’horizon géo-stratégique…


Syrie :
Rencontre entre différents chef de services de renseignements occidentaux dont USA, Fr, Russe, un constat : en l’absence d’un consensus politique autour d’un gouvernement de transition, le gouvernement Assad se maintiendra au pouvoir….
Pour nombres d’analystes, c’est l’accord sur le désarmement chimique de la Syrie qui a aidé Assad à se renforcer et à se maintenir dans une position de force (accord du mois d’août 2013 entre la Russie et les Etats-Unis). Désormais, il y a très peu de chances que les rebelles armées puissent le déloger.
Les Etats-Unis font le constat que la politique de l’administration américaine a été un fiasco…et qu’il convient de changer de stratégie. Les responsables des services américains indiquent que la situation actuelle en Syrie (développement des groupes djihadistes, contrôle de régions syriennes par Al-Qaeda) menace leurs intérêts nationaux et que des frappes ponctuelles (contre certains groupes) pourraient être réalisées. D’autres options militaires seraient en cours d’élaboration.

Mali :
Les désaccords politiques se multiplient entre la France et le nouveau président malien Boubakar Keita. De part et d’autres on parle de manque de confiance. A ce titre, l’accord de défense préparé n’est toujours pas signé par le président malien… qui a fait attendre de longues heures JYLD lors de leur dernière entrevue.
Les proches du président Keita indiquent aujourd’hui que la réconciliation se fera sur le long terme et que la priorité doit être au développement. Or, l’enquête de la CPI concernant le massacre d’Aguelhok (janvier 2012) risque de mettre en lumière des exactions commises certes par les djihadistes (cible facile) mais aussi potentiellement des membres du MNLA et de l’armée malienne…. En parallèle une lutte d’influence se déroule entre le Maroc et l’Algérie qui se disputent la place de médiateur entre d’une part le gouvernement malien, le MNLA et différentes parties…
La principale crainte de la partie française est que désormais le président Keita ne « pactise » avec les groupes djihadistes pour lutter contre les mouvements touaregs (notamment MNLA) dans le nord du pays. Or, non seulement l’armée française dispose d’officiers de liaison auprès du MNLA mais la France prône la réconciliation… alors que les combats se poursuivent.
Dans la région du nord-ouest du Mali, les opérations militaires et/ou secrètes se multiplient contre des groupes djihadistes tandis qu’un nouveau groupe vient de se constituer (les Mourabitounes) dirigé par Mokhtar Belmokhtar (Algérien) appuyé par des liens transfrontaliers notamment via le sud Libyen.
De ce fait, la France est contrainte de réorganiser son dispositif militaire dans le Sahel : 3 000 hommes autour de quatre bases principales (Gao, Niamey, N’Djamena, Ouagadougou) avec installation d’ici l’été d’un état-major régional au Tchad (N’Djamena). Cette réorganisation été présentée aux responsables américains tout dernièrement.

Libye
Le sud de la Libye (zone frontalière du sud-ouest avec l’Algérie, le Niger, le Tchad, l’Egypte) est en train de se transformer en nouveau sanctuaire djihadiste. Actuellement, avec l’accord des autorités libyennes, des forces spéciales américaines mènent des opérations.
C’est au sein de ce sud-ouest libyen que les groupes djihadistes actuellement se reposent, se reconstituent, et se préparent. Des affrontements ont ponctuellement lieu entre ces groupes et certaines tribus (notamment les Oeuled slimane anciennement proche de Kadhafi, mais aussi avec les Toubous, tribu nomade) mais aussi une force islamiste (ex-tuwars) dépêchée par le gouvernement libyen.
Actuellement les groupes terroristes (en provenance du Mali) se sont installés le long d’un axe de 400 km entre Ghat (frontière sud-ouest entre la Libye et l’Algérie) et Oubari (au sud-ouest de Sebha), tout en étant présent au nord de la frontière avec le Niger… et s’appuient en parallèle sur différents trafics (armes, drogue, produits alimentaires) et certains groupes bien implantés comme le Groupe Islamique combattant libyen.
Non seulement la France envisage désormais une intervention militaire (rencontre JYLD / Chuck Hagel) dans cette zone (des éléments de nos services se trouvent déjà dans cette zone) mais divers pays périphériques nous y poussent. Ainsi le Niger vient d’en faire la demande à la France (rencontre Fabius Mohamed Bazoum) mais aussi discrètement aux Etats-Unis en ayant pris soin d’en discuter avec des émissaires chinois.

Otages : le « jeu » malien…


Au-delà des énormités proférées ces derniers jours concernant la libération de nos otages puis de l’assassinat de deux journalistes au Mali, il convient de remettre certains faits en perspectives.
AQMI revendique aujourd’hui l’acte. D’abord, il est peu probable que cette organisation ait eu le temps et les moyens d’organiser cette opération dans des délais si brefs. Ensuite, au-delà de leur habillement, les quatre hommes ayant enlevés puis exécutés les deux journalistes, parlaient tamashek, c’est-à-dire la langue Touareg. Enfin à Kidal, différentes sources indiquent nettement des Touaregs, sous-traitants monnayant leur butin auprès de commanditaires, issus de la ville même de Kidal ; et décrivent moins une capture / enlèvement des journalistes à l’extérieur, qu’une « livraison » de ces deux derniers par des membres du MNLA à des sous-traitants travaillant ici pour la katiba d’al-Targui (Touareg proche d’AQMI).
De fait, nous nous situons dans une lutte politique entre différents mouvements (MNLA, Ansar-Dine, AQMI, Signataires du Sang, MUJAO, …), c’est-à-dire dans un jeu complexe d’alliances, de désalliances et de recompositions politiques, avec en son centre Iyad Ag Ghali.
Ce dernier est fondateur du mouvement touareg islamiste Ansar Dine, à la fois initiateur de la prise de Konna et du raid sur Bamako, et au cœur de la problématique malienne.
Iyad Ag Ghali vient de se (re)positionner politiquement par le biais de la libération des quatre otages Français et du blanc-seing accordé par le gouvernement Français (liberté totale de mouvement pour lui et ses hommes durant la négociation, réarmement, financement, …).
Les deux journalistes sont donc d’abord victimes indirectes de luttes de pouvoir entre mouvements et plus encore entre chefs de faction. Plus encore si comme nous l’indiquent nos sources, la rançon de libération des otages n’a pas été « redistribuée » comme convenue par Ag Ghali…
Là est un des motifs premiers : plusieurs armées et factions rivales cohabitent sans qu’aucune ne maîtrise la ville de Kidal, mais aussi au-delà de la périphérie. Et ce n’est ni l’armée française ni la MISMA qui créeront une quelconque stabilité ou sécurité.
Au-delà de sa tragédie, cet acte est le révélateur de l’incompréhension des décideurs français de la problématique malienne ; de l’échec politique (car idéologique) du pouvoir français malgré une réussite militaire (Opération Serval) comme de l’inadéquation entre principes moralisateurs et réalités géopolitiques.

Non, Messieurs, le terrorisme n’est pas la guerre


En matière de relations internationales et de conflictualité, non seulement le poids du politique est prépondérant, mais qui plus est, tout discours du Président ou du Ministre en charge de la Défense, est perçu comme devenant stratégie, entendue comme préparation d’inéluctables cristallisations. Il en est de même des discours journalistiques…
Non, Messieurs, le terrorisme n’est pas la guerre, de même qu’il ne peut exister de guerre au terrorisme car on ne fait pas la guerre à une simple tactique. Je vous propose ci-après un texte publié en octobre 2010 sur ce sujet.

La conception de la guerre menée permet la conception du monde en devenir. Le terrorisme n’est pas la guerre. Mais ce terrorisme n’est ni une surprise, ni un accident, ni une nouveauté historique. Ses origines, ses motivations, ses méthodes comme ses acteurs ont fait l’objet de nombreuses études comme de nombreuses prises de positions. Il a été ainsi répété à de multiples reprises que le terrorisme est devenu planétaire, qu’il s’est structuré en réseau transnational et que, issu de la mondialisation, il s’est déterritorialisé et parfois, à l’instar d’AQMI, franchisé. Pour autant, la violence terroriste qui nous est opposée aujourd’hui n’est pas une posture stratégique. Elle n’est pas non plus l’expression d’une violence aveugle. Elle s’inscrit dans une logique de restauration géo-historique s’adossant fortement à un phénomène de culture, y compris sous forme de résurgence en politique. La menace terroriste est néanmoins globale dans le sens précis qu’aucun Etat n’est à l’abri. Elle concerne plus encore notre pays dans la mesure où cette menace est proportionnelle à notre capacité d’influence et d’action dans le monde musulman. De fait, les liens et intérêts de la France au Maghreb et au Moyen-Orient cristallisent cette menace.
Cette menace est globale d’abord et avant tout parce qu’elle est réputée issue de la « mondialisation », directement ou indirectement : exacerbation des différences culturelles, politiques, économiques, sociales, ethniques, religieuses… ; des inégalités ; des perceptions et représentations ; des disparités géographiques, historiques, environnementales… Elle est globale ensuite du fait de la diversité des « cibles » potentielles, militaires et civiles ; principalement civiles d’ailleurs, de la plus grande mise en évidence des leviers d’actions et des points d’applications, du renforcement de l’asymétrie structurelle, de l’augmentation de la compétence technique et de la diffusion de ce « savoir et savoir-faire », de la résonance médiatique mondiale et de la nécessité de scénariser la violence au niveau mondial, dans un désir de surenchère constante.
Mais plus encore, pour nous, Français et Européens, voire occidentaux, c’est dans l’espace de la « cible » terroriste que doit s’exprimer l’action de celui-ci. Il peut donc paraître étonnant qu’il existe plus d’attentats en interne, c’est-à-dire sur les lieux d’où devraient partir ce terrorisme, qu’en externe, espaces où il devrait se projeter. Au point qu’il convient de s’interroger s’il existe bel et bien aujourd’hui, encore un terrorisme « classique », traditionnel, tel que nous l’avons connu ces dernières années.
Mais, moins que de s’interroger pourquoi hier des terroristes ont voulu brûler le Grand Satan ; nous savons comment ils ont échoué, nous savons que leur combat n’est qu’essentiellement accumulation d’échecs, et nous savons que ce combat-là n’a aucune chance de réussir ; il convient, en dehors de « résidus » de groupuscules et de katiba franchisées, de s’interroger sur la permanence , réalité et identité d’une véritable action terroriste transnationale qui se poursuit, sur ses motivations nouvelles après l’échec politique des premières illusions. Dès lors, il semble plus important de s’interroger sur ce qui conduit différents acteurs à constituer des coalitions d’intérêts de circonstance, tel mouvement terroriste apportant son soutien logistique à tel autre, tel Etat défaillant ou voyou soutenant par opportunisme d’un instant tel autre mouvement terroriste ou contestataire radical.
Si dans les prochaines années, le nombre des Etats défaillants ne devrait pas décroître en Afrique Sub-saharienne, leur répartition dans l’espace pourrait évoluer au grès de l’émergence de zones grises. La région de l’ouest du Sahara, qui va de la Mauritanie au Tchad en passant par l’Algérie, le Mali et le Niger constitue un espace privilégié parmi d’autres, notamment en Afrique, au Moyen-Orient. C’est dans ces espaces que nous trouvons ces armées résiduelles djihadistes, ces fameuses Katiba, parfois concurrentes et qui pratiquent un nomadisme de circonstance au gré des intérêts des Etats et des sanctuaires qu’ils trouvent afin de poursuivre, non pas leur djihad, mais leurs activités criminelles (trafics, séquestrations, vols, exactions, …).
Mais, si ce phénomène pourra s’étendre à la péninsule arabique et aux Etats du golfe, dans une région essentielle pour nos approvisionnements en hydrocarbures, s’aggraver dans le Caucase, sur le pourtour de la mer Caspienne, et inévitablement chez nous ; n’est-ce pas leur faire trop de publicité que de décrire ces minuscules desperados de la misère (économique mais aussi religieuse et idéologique) comme l’avant-garde d’une armée immense qui va bientôt nous submerger… Partisans avoués du djihad mondial que préconisait Ben Laden pour certains ; la réalité de ces Katiba dont celle d’Abou Zeid, une fois encore, n’est pas si simple. S’ils portent bien la « marque » Al-Qaïda, les leaders d’AQMI sont très autonomes, adhérant à une franchise mondiale mais ne recevant ni ordres ni stratégies des dirigeants d’Al-Qaïda, et n’ont de contacts avec eux qu’un nombre très limité. Quant à la bannière de l’Islam ; nous savons tous à quel point c’est ici, instrumentalisé et qu’elle ne représente que le ciment facile pour des idéologies combattantes aux motivations très diverses.
L’enlèvement de ressortissants français vise d’abord et avant tout à se faire de la publicité, puis à obtenir de l’argent pour leur organisation. L’assassinat de ressortissants étant ensuite la rencontre entre la représentation et la destruction. Sorte de violence extraordinaire dans un environnement mystique car sacré de violence ordinaire. Les bombes dans une gare où les enlèvements de ressortissants n’étant que la forme extrême et très parcellaire de l’expression de celle-ci. Mais ne s’agit-il pas d’une vision quasi criminologique de la radicalisation terroriste : de « gentils » individus devenant des djihadistes par le passage à l’acte terroriste, mais étant en réalité des individus vulnérables qui adoptent progressivement une vision fanatique du monde sous l’influence de mauvais bergers qui exploitent leurs frustrations. L’environnement plus déterminant c’est bien sûr : l’échec de la démocratie, l’échec de l’occidentalisation, l’échec de la croissance et de sa redistribution. Un contexte économique socio-culturel qui est la première arme d’un prêche extrémiste porteur de l’idéologie de la légitimité de la violence qui, ne pouvant être collective de part l’impossibilité d’une guerre victorieuse contre cet Occident satanique, ne peut-être qu’individuelle par le suicide terroriste.
Bref ils adopteraient progressivement des représentations de la réalité qui nous seraient défavorables, en quelque sorte une culture délinquante. Il ne s’agirait alors plus d’une lutte contre le terrorisme mais d’un combat entre la normalité (et la modération politique) et d’autre part l’anormalité basé sur des illusions…Et nous nous retrouverions alors dans une simple problématique d’idéologie….
La vérité étant toujours multiple et non uniforme, alors, la guerre contre qui ? Contre le terrorisme ? Contre le banditisme ? Soyons sérieux. Comment pourrait-on être en guerre contre une simple méthode ? L’on confond encore une fois l’acte, l’image avec l’action, le fond ; permettant à certains de se définir en guerre contre le terrorisme comme étant une fin en soi, une forme de réponse géopolitique à un désordre stratégique. Au-delà, à l’échelle de la géopolitique internationale, les espaces environnants sont parcourus par de très nombreuses et très complexes lignes de fractures, de brisures, visibles ou invisibles qui ont extraordinairement fragilisés, sans que l’on puisse le lire, le cartographier avec la clarté de l’évidence le territoire de nos intérêts ; car pouvoir le radiographier, c’est déjà constater l’urgence de la situation et la gravité du danger. Nous ne pouvons éternellement garder à distance ces premières lignes de friction, annonciatrices de crises régionales. Mais cela implique un triptyque stratégique : posséder une compréhension politique et géopolitique du conflit ; incorporer sans la réduire la dimension militaire ; ne pas limiter l’analyse stratégique ni aux seules affaires militaires, ni aux seuls impératifs politiques…

Petit tour d’horizon de fin d’année…


Au mois de novembre, les Etats-Unis et la Chine ont renouvelé la tête de leur exécutif. Barack Obama a été réélu face à Mitt Romney, second président démocrate après Bill Clinton à réussir cet exploit depuis 1945. Il a été réélu par les états du Nord-Est et du Pacifique, fortement plébiscité par les minorités ethniques (Afro-américains et Latinos), les jeunes (60% des 18-25 ans) et les femmes. Mitt Romney a été soutenu par les hommes blancs, les personnes âgées, et la couche aisée. En somme, deux Amériques bien différentes…
Barack Obama doit faire face à une situation économique fortement dégradée et à la « falaise fiscale »… la récession américaine sera violente. En matière de politique étrangère, les défis sont tout aussi importants : Iran, question Israélo-palestinienne, Syrie, Nord-Mali, et montée des autres puissances en Asie…Là, le sénat américain vient d’infliger un camouflet à la Russie et particulièrement à Poutine… Cela faisait des décennies que les Russes attendaient l’abrogation de l’amendement Jackson Vanik, cette provision datant de 1974, qui avait imposé des limitations au commerce avec l’Union soviétique. Depuis ce jeudi, les Sénateurs ont remplacé, à 92 voix contre 4, cet amendement à la loi régulant le commerce entre les deux pays par un autre amendement, qui représente un camouflet sévère pour le régime de Vladimir Poutine. Ce texte, connu sous le nom, de loi Magnitsky, impose des interdictions de visas et des interdictions bancaires aux officiels russes qui se rendraient coupables de violations sévères des droits de l’homme. (Sergueï Magnitsky, avocat russe de 37 ans, mort en prison dans des circonstances extrêmement suspectes après avoir dénoncé un cercle de corruption dans les plus hautes sphères du pouvoir russe). Ce jeudi, au moment où le Sénat passait au vote, Hillary Clinton, a dénoncé depuis Londres « les tentatives de resoviétisation de l »Europe de l’Est » et de l’Asie centrale par le régime russe. La question est de savoir jusqu’à quel point toutefois l’administration Obama, absorbée par sa crise économique et par les désordres à haut risque du Moyen Orient, aura la volonté et la capacité de s’investir de près dans le dossier de la Russie et de l’espace post-soviétique.
Xi Jinping, lui, a été désigné sur une lutte entre réformateurs et conservateurs en toile de fond ; avec lui aussi d’importants défis à relever : corruption (affaire Wen Jiabao), luttes politiques (Bo Xilai), baisse de la croissance économique, tensions sociales (18 000 incidents de masse recensés par les autorités chinoises officiellement !), mais aussi définition d’un nouveau modèle économique et mise en place d’une diplomatie de grande puissance … tel est aussi le sens des deux premières visites du nouveau leader : régime d’artillerie nucléaire (mettant en œuvre les missiles nucléaires stratégiques chinois), Sghenzen zone économique spéciale avec visite port de pêcheurs (allusion à Deng).
En Asie, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un a décidé de tirer une nouvelle fusée afin de commémorer la mort de son père le 17 décembre dernier, malgré sa réticence à donner l’image d’un pays agressif… Le Japon, quant à lui, à l’instar de nos précédents écrits d’octobre et novembre, une fois les élections législatives passées, a lancé un nouveau plan de mise à disposition de liquidités…illimitées….
En Afrique, la situation se tend au Nord-Mali, mais aussi, on l’oublie, au Nord-Kivu (République Démocratique du Congo) où de nouvelles exactions ont lieu menés par des seigneurs de la guerre (notamment le M23) et soutenu par le Rwanda…
Au Moyen-Orient, l’Iran se voit fortement pénalisé par la chute du rial, une inflation dépassant dorénavant les 50% (le prix du pain a triplé depuis janvier). Israël a procédé à l’exécution ciblé d’un dirigeant du Hamas (Ahmad Jaabari), provoquant une nouvelle vague de tirs de roquettes y compris jusqu’à la banlieue de Tel-Aviv… En Egypte, en Syrie, en Tunisie, la situation là aussi se tend…
Le président Mohammed Morsi, tout auréolé du succès de son entremise dans le conflit israélo-palestinien, a fait un coup de force : il s’est arrogé, par une « Déclaration constitutionnelle », le pouvoir d’édicter des lois et des décrets qui échappent à la censure des tribunaux et a interdit à la Haute Cour constitutionnelle de se prononcer sur toute demande relative à la Commission constitutionnelle, alors occupée à rédiger le projet de Constitution. Cette déclaration devrait aussi permettre de juger une nouvelle fois des responsables du régime précédent, c’est-à-dire de les condamner à des lourdes peines, puisqu’on doute qu’il s’agisse de les rejuger pour les absoudre. Enfin, il a en profité pour limoger à nouveau le Procureur général. La récente adoption du projet de Constitution par la Commission consultative jette un éclairage nouveau sur ce coup de force. On sait que celle-ci vient d’approuver l’ensemble des articles de la Constitution alors qu’il lui restait encore deux mois de délais pour le faire. Cette sortie va se faire au bénéfice des forces politiques conservatrices et, plus particulièrement, islamo-conservatrices. Morsi a été élu par tous les Egyptiens, pas uniquement par les Frères Musulmans. Or, aujourd’hui les Frères Musulmans utilisent le même logiciel que le précédent avec l’islamisme en plus….Ce qui importe, maintenant, ce sont, déjà, les étapes suivantes : les législatives, qui vont suivre, et les premiers mois de fonctionnement du gouvernement constitutionnel qui en sera issu. Pour l’instant, ce sont les libéraux qui, depuis presque le début du processus, s’arcboutent pour ne pas en sortir. Cela se comprend, dans la mesure où ils savent que – compte tenu du rapport de force – cela ne peut se faire qu’à leur détriment. Pour autant, le président Morsi n’a plus les coudées aussi franches qu’il l’aurait souhaité. La réaction d’une partie de la population égyptienne et l’unification de l’opposition indiquent que les jeux ne sont pas faits, ni dans un sens ni dans l’autre. Nous assistons donc à la mise en place d’une sorte d’équilibre entre le président Morsi et les Frères musulmans d’un côté, et une partie de la société civile, l’Armée de l’autre se positionnant au centre du jeu, ce qui indique que cette dernière est toujours au cœur de la vie politique égyptienne.
En Syrie, la situation se dégrade. Selon différentes informations (non vérifiables en l’état) les responsables syriens auraient préparés des bombes chimiques au gaz sarin… Pour éviter à la fois l’emploi d’armes chimiques mais aussi leur éventuelle prise par des djihadistes, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France s’apprête à mener des opérations ; soutenus en cela par des pays limitrophes comme la Jordanie. Les Etats-Unis viennent de positionner un porte-avions dans la zone (Porte-avions Eisenhower). Pour la France, il s’agirait d’utiliser des forces spéciales afin de mener des opérations visant à prendre, sécuriser et rapatrier des armes chimiques. La décision est à la seule appréciation du chef des armées, à savoir le Président de la République. Mais, à l’évidence, les responsables gouvernementaux français actuels confondent l’ASL (Armée Syrienne Libre à forte émanation djihadiste, soutenu par certains groupes islamistes Turcs et financés par l’Arabie Saoudite) et certaines factions politiques membre du Conseil National Syrien… Encore en plus en les confondant avec la Coalition Nationale soutenue par le Qatar et reconnue par la France… Quant aux instances politiques, mis à part quelques réels démocrates, l’essentiel sont issus des Frères Musulmans…
Les Turcs ont demandé et obtenu de l’Otan des batteries Patriot pour protéger leur territoire et population. Il s’agit d’une demande plus politique (garantie de réassurance et expression de solidarité de l’Alliance) que réellement opérationnelle face à une menace. Mais, une question, pourquoi la France n’a-t-elle pas proposé le déploiement de système SAMP/T franco-italiens ? N’y avait-il pas là une opportunité politique, industrielle et économique, et ce alors même que lors de la dernière rentre FH / Monti la décision de faire évoluer le SAMP/T vers l’antimissile balistique a était prise ?
Si effectivement, nous ne pouvons prendre le risque que des armes chimiques tombent entre les mains des groupes djihadistes, ou qu’elles soient utilisées contre le peuple syrien, cette situation est d’abord la résultante de mauvaises appréciations et mauvaises décisions. Le Président Hollande risque d’engager la France sur de mauvaises décisions, suite à de mauvais diagnostics sur le conflit syrien…. Comme on le constate aujourd’hui, et comme je le disais déjà cette date, les printemps arabes n’instaureront pas la démocratie. Leurs auteurs n’en ont malheureusement pas l’intention… A l’évidence, nous n’avons pas fait le choix de soutenir les véritables démocrates… mais celui d’armer à répétition des rébellions ayant adhéré au djihadisme….Et ce sont d’abord les populations locales qui sont les premières victimes….
En Tunisie, les mouvements sociaux (liés essentiellement à une situation de frustration sociale) se généralisent et les heurts se généralisent, dernièrement dans le nord-ouest du pays. Aucune amélioration des conditions économiques et sociales depuis la révolution, mais au contraire aggravation de la situation économique… et donc dégradation du niveau de vie. Le chômage augmente. Le gouvernement est alors perçu comme inefficace tant au niveau économique que sécuritaire. La question du religieux dans la société divise profondément la Tunisie. D’un côté des libéraux, à priori minoritaires ; de l’autre une frange majoritaire de la population attachée à une identité culturelle et religieuse musulmane et ayant des valeurs conservatrices mais qui n’est pas désireuse d’instaurer un ordre religieux. Les fondamentalistes restant très minoritaires. Nous assistons là, à des rapports de force entre différentes partis de la société civile tunisienne mais aussi politique. Le consensus politique national sera difficile à trouver, mais heureusement, les médias sont de réels contre-pouvoirs, on a pu le constater dans le cas du viol de la jeune femme…
Enfin, l’Europe… L’Union européenne est à la peine, le dernier conseil a été un échec ; les élections en Catalogne donnent la majorité à des partis tentés par l’autodétermination ; la Grèce s’enfonce chaque jour davantage entraînant une nouvelle dégradation de sa note et une notation de défaut partiel… Le FME lui-même voit sa notation dégradée… Les tentations sécessionnistes se généralisent : en Europe, aux Etats-Unis, mais aussi au Brésil du fait de la manne pétrolière de Prè-sal… la volonté de partager les richesses s’estompe en ces temps de crise… avec celui d’un destin commun.

Un monde en trans-tensions (3)


De l’Egypte à la Libye, du Mali au Sahel ; les événements récents confortent les mouvements géopolitiques identifiés. La période de transition commencée avec la chute du mur de Berlin en 1989 s’accélère en entrant dans sa phase finale, celle des trans-tensions.
En Egypte, nous avons assisté cet été à une prise de contrôle, négociée, par les Frères Musulmans. De fait, le changement des principaux postes des armées a sans nul doute été négocié dans l’ombre avec les militaires eux-mêmes. Le changement semble même avoir été défini avec les Etats-Unis… Le « jeu » a consisté à mettre en place une cogestion du pouvoir en sauvegardant de part et d’autre les apparences… L’armée a réussi à évacuer les dirigeants militaires associés à l’ancien régime et ce sans remettre en cause son propre pouvoir…en conservant la possibilité d’être toujours un recours en cas de nécessité et/ou d’échec des Frères Musulmans tout en promouvant une jeune garde d’officiers supérieurs… Pour les Frères Musulmans il s’agissait essentiellement de devenir Co gestionnaire du pays. Au-delà, les Frères Musulmans visent à travers cette alliance objective, de se positionner en termes stratégiques face aux Salafistes d’abord, mais aussi face à d’autres pays du Proche-Orient ; espace que l’Egypte veut réinvestir…
En Libye où nous assistons bel et bien à un éclatement du pays à contrario des discours sur la normalisation du pays d’observateurs bien aveugles… La Libye était déjà sous le pouvoir du colonel Kadhafi en proie à des tiraillements géographiques (Tripolitaine – Cyrénaïque – Fezzan) et des fragmentations claniques, tribales et religieuses… Au-delà des coalitions de pouvoir s’affrontent… Soufistes, autonomistes, fondamentalistes, indépendantistes, fédéralistes, islamistes… La Lybie survivra-t-elle en tant qu’Etat ? L’éclatement territorial tel que nous l’annoncions au début de l’année semble inévitable, à moins de trouver un contenu idéologique commun, nouveau socle transcendant les divisions ancestrales…
Au-delà de la Libye, c’est bien évidement la bande sahélienne qui retient aujourd’hui notre attention, et plus encore suite au discours du Président Français à l’ONU. Si l’attente est néfaste, il convient d’abord de mesurer l’étendue des dégâts collatéraux catastrophiques de notre intervention en Libye… Ce long corridor de crise est fracturé de l’intérieur par un beaucoup plus grand nombre de frontières virtuelles peux visibles, qui sont celles des micros pouvoir : L’état face aux oppositions bâillonnées ; Les très riches, la middle class et tous les pauvres ; Les laïques et les religieux ; Les intellectuels et les analphabètes ; Les lecteurs de la presse internationale et les auditeurs des prêches ; L’administration corrompue et leurs victimes ; Ceux des centres ville et ceux des Slums (le dish plate : c’est la parabole de réception TV fabriquée artisanalement qui, bricolé avec un récepteur électronique à trois sous, “nourri” “la rue Arabe” à la voix d’Al Jadida. Mais, pour l’analyste, la pire des ruptures reste l’aggravation des inégalités de richesse au sein de ces espaces que la croissance démographique a densifiée jusqu’aux limites des implosions. L’environnement plus déterminant c’est bien sûr : l’échec de la démocratie, L’échec de l’occidentalisation, L’échec de la croissance et de sa redistribution… Un contexte économique socio-culturel qui est la première arme d’un prêche extrémiste porteur de l’idéologie de la légitimité de la violence qui, ne pouvant être collective : une guerre victorieuse contre cet Occident satanique, ne peut-être qu’individuelle par le suicide terroriste. En fait, cette ligne de contact, au-delà de la géographie des frontières physiques classiques, est imprécise, aléatoire dans le temps et l’espace, en « respiration »,…c’est une sorte de ligne d’étiage, un flux et un reflux, l’extrême imite de l’écume portée par les marées plus ou moins loin, selon la météo internationale, le vent politique et la puissance drames du quotidien.
Mais ce terrorisme n’est ni une surprise, ni un accident, ni une nouveauté historique. La violence terroriste qui nous est opposé aujourd’hui n’est pas une posture stratégique. Elle n’est pas non plus l’expression d’une violence aveugle. Elle s’inscrit dans une logique de restauration géo-historique s’adossant fortement à un phénomène de culture, y compris sous forme de résurgence en politique. De fait, les liens et intérêts de la France au Maghreb, en Afrique et au Moyen-Orient cristallisent cette menace. Plus encore, pour nous français et européens, voir occidentaux, c’est dans l’espace de la « cible » terroriste que doit s’exprimer l’action de celui-ci. Au point qu’il convient de s’interroger s’il existe bel et bien aujourd’hui encore un terrorisme « classique », traditionnel, tel que nous l’avons connu ces dernières années : l’idée qu’il y a plus d’attentats en interne, lieux d’où devrait partir ce terrorisme qu’en externe, espaces où il devrait se projeter
La région de l’ouest du Sahara, qui va de la Mauritanie au Tchad en passant par l’Algérie, le Mali et le Niger constitue un espace privilégié. Oui mais quel isolement ! C’est dans ces espaces privilégiés que nous trouvons ces armées résiduelles djihadistes, parfois concurrentes et qui pratiquent un nomadisme de circonstance au gré des intérêts des Etats et des sanctuaires qu’ils trouvent. Ces mouvements ont rejoint le courant dhijadiste mondial à partir de 2006, leur permettant de se franchiser, devenant les superettes du terrorisme du pauvre et de porter le nom d’Al-Qaeda. Moins que de s’interroger pourquoi hier des terroristes ont voulu brûler le « Grand Satan ; nous savons comment ils ont échoué, nous savons que leur combat n’est qu’essentiellement accumulation d’échec, et nous savons que ce combat-là n’a aucune chance de réussir ; il convient de s’interroger sur la permanence et l’identité d’une action terroriste transnationale qui se poursuit, sur ses motivations nouvelles après l’échec des premières illusions, pourquoi la poursuite de ce combat pour qui, en dehors de « résidus » de groupuscules, combattants d’hier et continuité aujourd’hui et pour longtemps encore du harcèlement d’une armée de gueux, que d’aucuns décrivent comme une horde prête à nous envahir ou qui nous encercle.
Mais, si ce phénomène pourrait s’étendre à la péninsule arabique et aux Etats du golfe, dans une région essentielle pour nos approvisionnements en hydrocarbures, s’aggraver dans le Caucase, sur le pourtour de la mer Caspienne, et inévitablement chez nous ; n’est-ce pas leur faire trop de publicité que de décrire ces minuscules desperados de la misère (économique mais aussi religieuse et idéologique) comme l’avant-garde d’une armée immense qui va bientôt nous submerger…

Afrique et ethnicité


Un petit billet ce jour pour revenir sur un événement de ces dernières semaines. D’autres suivront.
La mort de Meles Zenami (Premier Ministre Ethiopien) renforce l’imprévisibilité de la zone. La question du partage du pouvoir se pose de différentes manières, pouvant largement déborder sur les autres Etats, voir plus loin sur le continent.
– Sa succession va poser problème d’abord politiquement, entre recherche de direction collégiale et tentation pour certains, face à une opposition faible et trop parsemée, de chausser les « bottes » du « Maître ».
– L’Ethnicité pose elle aussi problème, le pouvoir s’étant appuyé exclusivement sur une faible minorité (les Tigréens représentant 6% de la population). Quels attendus pour les Oromos et les Amharas ?
– Le champ économique est lui aussi évidemment concerné puisque la minorité au pourvoir détenait non seulement les leviers politiques et militaires, mais aussi économiques. Au-delà, l’inflation, forte et en hausse, expose une large part de la population ; paysans en tête ; à des problématiques alimentaires. La malnutrition est toujours fortement présente dans le pays et des émeutes de la faims sont à craindre.
– Le champ religieux est apparu fragilisé aussi. Par la mort du chef de l’église chrétienne orthodoxe, proche du pouvoir, mais aussi par l’opposition musulmane qui demande une autogestion de leurs affaires religieuses.
Mais au-delà de ces éléments internes ; si des mouvements de guérilla intérieurs existent (Front de Libération de l’Oramo notamment ou d’autres mouvements dans l’Ogadan), le réel danger vient de l’extérieur : moins de l’Erythrée ou des shebabs somaliens que du vide laissé par cette disparition dans l’organisation et la gouvernance de toute la Corne de l’Afrique.
L’ethnicité est à nouveau sur le devant de la scène. Toujours perçue négativement, elle pourrait être néanmoins une solution au devenir africain et à son mal-développement. La Somalie, l’Ethiopie, le Sud-soudan ont ouvert une voie. Celle d’un possible redécoupage géographique d’espaces territorialisés par une géographie coloniale (40% des frontières du continent africains sont le fait de deux puissances coloniales : la France et la Grande-Bretagne).
Demain, le Mali ou le Sahel pourraient suivre la voie… même si nos élites parisiennes bien pensantes s’y refusent par oubli ou négation d’une histoire que l’on ne veut même plus enseigner pour ne point la connaître…