L’Histoire d’un géant…


Cela pourrait être l’histoire d’un industriel, d’un géant déchu dont les réalisations passées ne suffisent plus à lui assurer un avenir. Cela pourrait être aussi l’histoire d’un pays, l’histoire d’une nation en déclin, dont la grandeur passée ne suffit plus à lui assurer sa place dans le monde en devenir…
Ce sujet ne saurait être une surprise pour le gouvernement. Le sujet était parfaitement connu depuis plusieurs mois, notamment suite à la dernière publication des comptes d’Alstom, il y avait une baisse de CA de 22% et un cash-flow négatif (de l’ordre de 500 millions). Le gouvernement s’affole et gesticule démontrant avant tout la perte de capacité du politique.
La problématique n’est pas tant de savoir si GE ou Siemens doit être le repreneur, mais quel est le projet industriel ? Nous allons vers un démantèlement (élimination d’un concurrent pour Siemens, et pour GE une récupération de compétences par découpage / dépeçage) avec pour Bouygues du cash (logique) au regard de son portage actionnarial.
Les investisseurs sont dans une logique de fusion-acquisition leur permettant de créer de la valeur (boursière) via le biais de consolidation industrielle parfaitement anticipable : les entreprises gagnent de la valeur/argent sur de la croissance organique dans une économie en expansion, mais dans une économie en stagnation vous rachetez des parts de marché (ce qui explique que dans les dernières années nombres de sociétés se sont focalisés sur le développement de leurs trésoreries afin de pouvoir acheter des « proies » par absence de relais de croissance organique). Certains voient dans ces rachats un signe positif sur la situation économique européenne ou l’attractivité de la France… A mon sens, aucun signe positif y compris en termes macro-économiques mais réaffirmation d’une fin de cycle économique.
Nous allons entrer en fin de cycle économique. La multiplication des fusions-acquisitions n’est jamais bon signe (à terme) pour les marchés financiers (2000 ou 2007 pour les derniers épisodes). Par ailleurs, la plupart de ces fusions-acquisitions sont des échecs opérationnels (absence de réelle synergie et recherche de parts de marchés)… mais pas en termes de création de valeur financière (démantèlement ou dépeçage des entreprises).
Au niveau des entreprises, les fusions-acquisitions vont se poursuivre du simple fait que les liquidités sont abondantes, que leurs détenteurs sont à la recherche de moyens d’allocations faciles sans réflexion d’ensemble, et que les entreprises comme dit, dans une période de stagnation cherchent de la croissance externe par acquisition de parts de marchés…
Au niveau boursier : la capitalisation boursière des entreprises européennes, asiatiques et plus encore américaines, sont surévaluées de l’ordre de 20 à 40%. Nous sommes dans une bulle de liquidités. Et les bulles ne se dégonflent pas. Elles explosent… et lorsqu’elles explosent la crise des capitaux est là. Rassurons-nous, les médias parleront d’une simple « correction » boursière, largement attendue…. Rappelons un fait qui me semble important mais souvent mésestimé : les marchés financiers sont des lieux où l’on échange, non des biens, mais des anticipations… rien d’autre. (En ce sens les derniers propos de Yellen sont foncièrement inquiétants).
Au niveau financier, la non régulation va entraîner une nouvelle crise systémique par effondrement du marché des capitaux… il conviendrait de démanteler les banques dites systémiques dont la faillite pourrait être absorbée par les marchés. Pour rappel, la société générale a (fin 2013) des engagements à hauteur de 48 000 milliards de dollars…A-t-elle les fond propres en face ? Pour rappel encore, les fluctuations de l’indice Dow Jones de plus de 400 points à la hausse puis à la baisse en une seule journée (1000 points d’écart le 06 mai 2010)…s’agit-il d’évolution logique, rationnelle ? Pour rappel encore toujours, plus de 60% des opérations boursières sont le fait aujourd’hui de « trading algorithmique »… Pour rappel toujours, la somme mondiale des actifs financiers est aujourd’hui de 160 trillions de dollars. Là encore, y-a-t-il une réalité matérielle en face ? ou du vent que l’on brasse et rebrasse ?
Ne nous trompons pas, la finance est au cœur des affrontements à venir dans l’apparition d’un nouvel ordre (cf déclaration de Poutine, cf achat massif d’or par la Chine, cf multiplication des accords monétaires bilatéraux, …)
Au niveau industriel, les différents gouvernements n’ont eu de cesse depuis des décennies de définir un environnement économique défavorable, de confisquer la liberté de gestion et de faire dépendre nombres d’industries de l’Etat tandis que ce dernier appuyé par les syndicats favorisait le refus d’adaptation… tandis que le patronat français se pensent comme propriétaire des entreprises et des industries (cf Kron ou Lagardere…)… Nous n’avons que trop rarement constitué des rapports de forces mais exclusivement des rapports de faiblesse permettant aux Politiques de se présenter comme grand ordonnateur ou sauveur….
Au niveau économique, pas de retour de la croissance et pas d’amélioration profonde malgré les dires du ministre… Nous attendons une sortie de récession et un retour de croissance et elle n’est (toujours) pas là. Et, disons-le, elle ne sera pas là ! Aux Etats-Unis, en Europe, comme au Japon (et, là encore, je le redis une nouvelle fois, les abenomics ne marchent pas et ne marcheront pas !), les indices de vente à la consommation sont mauvais (y compris pour l’alimentation).
De ca fait, le problème est ailleurs : pourquoi nos entreprises (petites et grandes) ont disparu ou sont rachetées par des capitaux étrangers (textile, habillement, métallurgie, aluminium, automobile, agroalimentaire, …). Ont-elles toutes faites des erreurs de stratégies ? Etaient-elles toutes mal gérées ? Ou y-a-t-il plus réellement et prosaïquement un problème d’environnement économique (charges excessives, réglementation, orientation de l’épargne pour les besoins de l’Etat et non pour ceux de l’économie, …) ? Les « mesurettes » de servent pas à grand-chose comme d’ailleurs le plan de 50 milliards… Pas de baisse du chômage non plus car nous ne cherchons plus à produire de la richesse, mais juste à produire de la valeur… Les négociations concernant le Traité transatlantique en est le dernier exemple inquiétant…
La seule solution, à mes yeux, c’est de prendre ses pertes….
Pour conclure, dans son livre intitulé « Effondrement », Jared Diamond mentionne parmi les raisons pour lesquelles des civilisations anciennes meurent, l’incapacité de leurs élites à se représenter clairement le processus de bouleversement / d’effondrement en cours ou, si elles en ont pris conscience, leur incapacité à le prévenir en raison d’une attitude de défense « court-termiste » de leurs privilèges…
Mais, une autre lecture me semble possible : les acteurs économiques « testent » la France (l’exécutif français) à être en position / posture de prendre des décisions fortes sur des dossiers stratégiques. La réponse pourrait être simple : Alstom est stratégique pour la France, donc c’est moi l’Etat qui prend la décision et je prends celle de préserver ce cœur stratégique… L’enjeu est donc politique et concerne la crédibilité de notre exécutif. Sans réponse, nos autres fleurons économiques pourront devenir des proies en cas de difficultés.

Désinvolture stratégique…


Oui, l’utilisation d’armes chimiques est une ignominie qu’il convient de condamner. Mais il faut être réaliste : s’interroger d’abord sur la réalité du conflit syrien (guerre entre grandes puissances au travers des Syriens) ; s’interroger sur les Etats intervenant de part et d’autre et leurs motivations (et constater malheureusement que pour nombres d’entre eux il s’agit avant tout de soutenir des mouvements djihadistes que nous combattons ailleurs dans le monde, notamment au Mali et la bande sahélienne) ; s’interroger sur l’origine de l’attaque (sur les frappes elles-mêmes, il existe peu de doute sur leur réalité (encore que…!), un peu plus sur leur ampleur et beaucoup plus sur leur provenance ; ensuite sur les dispositif légaux permettant une intervention (à force d’intervenir partout sans jamais respecter le droit international que nous avons mis en place, ne soyons pas étonnés demain de le voir se retourner contre nous et nos propres intérêts); mais plus encore les objectifs de ces actions de force militaire. Ces objectifs ne peuvent être que politique.
Quel est notre objectif politique ? Affaiblir Assad ? Le forcer à partir ? Mettre en place un autre pouvoir politique ? En ce cas, lequel ? Qui soutenons-nous ? Comme si le camp en face de Assad était homogène (laïcs, musulmans, salafistes, djihadistes, takfiristes, …) Allons-nous favoriser une partition du pays (une région kurde à l’est, une réduit alaouite fidèle au clan Assad à l’ouest dans une région allant de Damas à Homs, une région arabe sunnite (Alep – > Euphrate), des minorités éparses et condamnées (notamment les minorités chrétiennes) ?
La force militaire ne vient que pour mettre en œuvre des moyens militaires permettant la résolution des objectifs politiques ! Dans ces conditions, l’emploi de la force comme toujours doit être subordonné à une définition claire de l’objectif et de l’end state que l’on veut atteindre, c’est-à-dire de ce qui définira si oui, ou non, l’objectif politique est atteint. Dans le cas du dossier syrien, quels peuvent être les objectifs ?
– le respect du droit international (traité de non prolifération chimique ) ? Mais alors, il convient de respecter le droit dans tous les aspects (la question de la légitimité de l’intervention) ;
– la logique de la « punition » (dont j’ai du mal à comprendre la traduction en termes de stratégie ?). Mais le bon sens et l’expérience nous apprennent que punir une fois est rarement suffisant ;
– la changement de régime politique en Syrie (avec le départ de B. el Assad) ? Mais dans ce cas, pour le remplacer par quoi et avec quelle garantie de succès (Cf., le cas libyen) ? Ce que l’on sait de la rébellion et de ses évolutions récentes n’est guère encourageant ;
– il y a d’autres options, mais je ne les ai pas tellement vues exprimées ? Garder Assad mais empêcher l’emploi d’armes chimiques ? En fait cela revient à admettre que mourir (même en masse) sous les obus conventionnels et le tir des mitrailleuses est « acceptable » mais pas sous les bombes chimiques ? Etablir une administration internationale ? Mais on est reparti pour vingt ans !
Et ne pas tout mélanger : le Président déclare privilégier dorénavant une solution politique. Mais la guerre est aussi une solution politique ! En réalité, il nous faut chercher une solution diplomatique.
Très clairement notre Président a un problème Assad, global et personnel bien avant les armes chimiques aboutissant à sa surprenante déclaration lors de la conférence des ambassadeurs d’août 2012 : « Bachar Al-Assad doit partir. Il n’y a pas de solution politique avec lui »… Nous sommes bien là, déjà, dans l’affirmation d’une volonté de « regime change » à la libyenne. Les déclarations de François Hollande sur l’utilisation des gaz le 21 août 2013 lui ont fait franchir un seuil. Difficile de reculer. Dès lors apparaît la volonté politique de François Hollande de « punir ». Notre objectif politique serait de punir ? De mener des opérations militaires punitives ? Très surprenant concept. Très difficile application opérationnelle au-delà de simples frappes médiatiques.
Si Bachar doit partir ce ne peut être qu’à la fin d’un processus de transition politique et absolument pas en préalable. L’utilisation d’armes chimiques ne procède que peu d’une appréciation juridique mais uniquement d’appréciation morale. L’attaque a-t-elle été ordonnée par Bachar el Assad ? Pour rappel, les échantillons analysés par la France n’ont révélés que de très faibles doses de gaz sarin, même si le gaz s’affirme comme complexe et mortel. A l’inverse les échantillons américains révèlent de fortes proportions de sarin…
Quel est le jeu des acteurs ? L’offre russe n’est pas sérieuse, chacun le sait. L’objectif de Poutine n’est pas d’humilier Obama. Ni les Etats-Unis. Surtout pas. Mais de prendre l’avantage, l’ascendant. Tout en démontrant la fin de la superpuissance américaine (elle-même héritage de la fin de l’URSS), imposer la Russie de retour comme acteur (centre de la négociation syrienne) et comme alternative diplomatique aux Etats-Unis. L’affaire Snowden comme prémices. La Russie, bien évidement refuse la proposition de résolution de la France, trop contraignante. Grossière erreur diplomatique de la France ou au contraire manœuvre diplomatique visant à enfermer la proposition russe dans ses contradictions ?
Obama visait à agir à minima. Mais, attention, par orgueil politique, sa riposte militaire pourrait être disproportionnée. Obama risque fort (avec l’appui de François Hollande) de rechercher une légitimité de remplacement. Donc « d’aller à la pêche » à l’OTAN et à la ligue Arabe. Le soutien à minima de l’Union européenne lui étant assuré par le communiqué européen de Vilnius. Mais là encore, François Hollande a commis une erreur majeure en mettant une nouvelle fois à mal la relation franco-allemande. Alors que l’Allemagne est en pleine campagne électorale et que la Chancelière Merkel semble en position favorable pour l’emporter, il pousse l’Allemagne et la Chancelière un peu plus dans les bras de la Russie et Poutine finit par imposer Berlin comme point focal pour les Russes. Grave erreur pour l’avenir d’autant plus grave que l’axe franco-britannique ne peut jouer dans cette affaire, isolant davantage Paris.
Selon divers renseignements, l’ASL a perdu le contrôle militaire de la rébellion au profit des groupes radicaux islamistes. La rébellion a perdu une part de son poids dans les futures négociations. A contrario c’est actuellement le régime de Bachar qui est conforté.
Cette guerre risque fort de s’étendre. De guerre « civile », elle est devenue une guerre par procuration pour d’autres puissances (Qatar, Arabie Saoudite, Etats-Unis, France, Russie, Iran,). Ensuite elle débordera très vite sur le Liban, puis vraisemblablement sur le Golan, sur le nord de la Syrie c’est-à-dire la frontière turque… sans omettre la montée en tension pour Israël.
Le décideur politique est face à de mauvais choix faute d’avoir jamais voulu faire accepter des portes de sortie stratégiques (cf Tunisie, Egypte, Libye) et donc, quel que soit celui qui gagnera, la France comme les Etats-Unis vont perdre ! Nous pouvons même affirmer que les Etats-Unis et la France ont déjà perdu, tant sur le plan médiatique que sur le plan international. Les Etats-Unis montrant qu’ils ne souhaitaient plus avec ce Président s’engager avec la même force et la même détermination au Proche-Orient et la France ne devenant qu’un supplétif dans une région dans laquelle elle a pourtant toujours su jouer un rôle de premier plan. Les masques tombent et la France en sort cruellement affaiblie.
Alors quelles conséquences ?
D’abord des conséquences géopolitiques. Un monde libre. Un monde redevenu libre géopolitiquement. Voilà l’émergence de la fin de la période de transition commencée en 1989 avec la chute du mur de Berlin. Toute la problématique, toute la complexité du moment provient de l’absence de pensée stratégique ayant anticipé cette liberté géopolitique et capable de la gérer. Avec comme accentuation de la complexité, l’obsolescence des structures de sécurité (régionales comme internationales) mises en place depuis 1945. Paradoxalement, perdant ses « maîtres » traditionnels ; ce monde libre géopolitiquement induit une absence de liberté opérationnelle pour nos pays occidentaux dans des rapports de force corrigés par la quête d’un équilibre stratégique inatteignable. En ce sens, la Syrie peut être analysée comme un tournant.
La Russie est pour le moment le grand vainqueur de cette crise. Sans menace, elle s’est placée au centre du jeu. Elle a divisé le camp occidental, l’a poussé dans ses contradictions stratégiques et a démontré aux yeux de tous, notamment les émergents, ses insuffisances. Elle se réaffirme comme une puissance incontournable. A titre anecdotique, il est « savoureux » de voir s’impliquer la Russie sur ce dossier ! Il faut se rappeler que jusqu’à une date relativement récente, la Russie (et tout la Pacte de Varsovie) avait largement développé un concept d’usage de l’armement chimique dans sa doctrine d’emploi militaire (à usage tactique, bien en dessous du seuil nucléaire). Et l’on peut penser que le développement des capacités chimiques de la Syrie doit beaucoup à sa proximité historique avec l’ex-URSS…
L’Iran sort renforcée de cette crise. Elle réaffirme son rôle de protecteur des chiites notamment face à une menace d’intervention occidentale. Face aux hésitations américaines et occidentales, elle peut jauger sa marge de manœuvre.
Pour la France et l’Union européenne, cette reculade américaine démontre une nouvelle fois que non seulement la superpuissance américaine n’est plus ; mais surtout que les Etats-Unis n’interviendront désormais que pour leurs seuls intérêts et donc de manière parcimonieuse… Chypre, membre de l’Union européenne vient de se tourner vers la Russie… message pour le reste des européens ? Quant à notre pays, par le biais des actions / décisions de François Hollande et des erreurs dramatiques de notre diplomatie, il vient d’être brutalement renvoyée à ces insuffisances stratégiques….
Enfin, autre conséquence géopolitique, la menace terroriste s’estompe (en tant que concept stratégique), non par la fin d’Al-Qaeda ou la mort de Ben Laden mais par l’émergence de nouveaux acteurs et rapports de force stratégiques.
Ensuite des conséquences militaires. Ce que la Libye et le Mali avaient masqué se révèle : la France ne peut plus agir sans le soutien matériel des Etats-Unis et a perdu pour part sa réelle autonomie stratégique et donc son rang de puissance ! Il nous faut donc prendre en compte cette réalité (survenant à l’aube de notre débat parlementaire sur la LPM) et modifier en conséquence cette dernière faute de disparaître du paysage géostratégique. Ensuite, impérativement adosser à notre posture de dissuasion au sein de cet environnement stratégique naissant, une posture d’intimidation. Pour l’Union européenne (et donc pour la France), développer un outil militaire autonome capable de défendre pleinement nos intérêts sans les Etats-Unis. La constitution d’un tel outil ne constitue absolument pas une charge mais un devoir.
S’interroger aussi sur le concept des frappes et leur contrepoint politique. Des frappes aériennes ? Mais de quel niveau ? Opérationnel ? Alors les frappes doivent être chirurgicales, multiples et renouvelables impliquant l’emploi de forces au sol pour démultiplier leurs effets. Stratégiques ? Alors, on vise un effet significatif sur le niveau militaire, économique et politique de l’adversaire. Ce type de frappes se doit d’être puissant et si possible radical. Si nous réalisons des frappes, il nous faudra tout à la fois dissuader de tout nouvel emploi d’armes chimiques et intimider suffisamment pour amener les protagonistes à la table de négociation. Donc infliger de réels dommages (significatifs et durables) aux capacités militaires du régime syrien. Mais alors, quid des avantages donnés à la rébellion et notamment aux groupes islamistes radicaux et de leur future emprise sur la Syrie ? Quid de la Russie ? De la Chine ? Et plus prosaïquement, quid de la localisation des cibles (au milieu des populations) ? Bref, qui mesure les conséquences géostratégiques des frappes ? Cela implique alors qu’il est totalement contre-productif de fixer des limites de temps à l’opération (ne pas confondre avec la limitation donnée aux objectifs militaires) mais quid des opinions publiques et comment gagner la bataille médiatiques de ces opinions ? Conséquence : il ne faut pas fixer de limites hautes temporelles car cela nous affaiblit stratégiquement…Donc, forte nécessité de déployer des forces et moyens pour durer… Bien loin des envies politiques….
Les solutions sont diverses et ne peuvent être exclusives. Alors quelle solution privilégier ? Potentiellement, oui, une sorte de show of force, une démonstration de force occidentale MAIS assortie immédiatement d’une vraie conférence régionale avec tous les acteurs dont l’Iran ! Des frappes de missiles de croisière afin d’apaiser les émotions médiatiques, tout en permettant d’affaiblir le régime d’Assad tandis qu’en en sous-main nous favoriserons la reprise en main des insurgés par l’Arabie Saoudite (des grands démocrates eux aussi) et la mise en place d’insurgés « euro-occidentaux compatibles » que l’on pourra soutenir militairement. Mais le risque est grand que cela ne serve à rien, sauf à enclencher un processus militaire plus important. Puisque les frappes ne font rien, frappons plus fort. Puis plus fort. La bascule sera là. La guerre aussi.
Dès lors, il nous faut aussi mesurer les implications politiques de tout cela, et pour nos responsables, l’impérieuse nécessité de prendre de la hauteur….car dans des circonstances aussi graves, il convient de garder la tête froide et de s’exprimer avec responsabilité. Aucune action militaire ne doit dépendre de l’émotion et des médias. Si la volonté politique de notre exécutif ( ce qui aurait été une erreur) était le départ de Bachar Al-Assad, alors la priorité de notre diplomatie sur cette question devait être un accord avec la Russie et donc profiter du G20 pour définir un deal diplomatique : la Russie garderait son influence dans la zone, mais à elle de solutionner le problème et de trouver le successeur de Bachar….
Encore une fois, comme souvent, en raisonnant sous l’emprise de l’émotion, on s’attache plus à traiter les effets de la crise (massacre de populations) que les causes. C’est sans doute vendable plus facilement dans l’opinion publique mais cela explique la durée de nos cycles de gestion de crise (les Balkans, 20 ans en Bosnie, presque 15 au Kosovo et rien n’est réglé), en complet décalage avec nos propres cycles politiques (de 4 ou 5 ans !). Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de défendre le système en place. Le régime Assad (père et fils) demeure celui d’une minorité (alaouite) s’imposant par la force et la dictature à tout un pays (je n’ose écrire « peuple »). Je serai totalement cynique, je dirai qu’on peut y reconnaître une forme de stabilité (avec laquelle d’ailleurs tous les Etats à commencer par la France, ont dialogué pendant des années !).
Mais, il ne peut exister de diplomatie de l’émotion et de la représentation politique. Il faut d’abord effectuer une appréciation de situation politique et stratégique. En effet, gérer les effets de la crise peut se révéler relativement facile (toute proportion gardée) en les éradiquant et en faisant retomber la part d’émotion (l’effet CNN ou « 20heures »). Traiter des causes s’avère en général beaucoup plus complexe car on touche souvent au cœur de l’humain (ethnique, religieux, politique, etc.). Au niveau local, une guerre civile avec 100 000 morts et des crimes partagés. Au niveau régional, des pays voisins engagés et inquiets des répercussions. Au niveau mondial on montre ses forces et on essaie de se rassurer : la puissance résiduelle des USA, celle de la Russie, l’influence nulle de l’UE, nulle encore des autres pays (Chine, Inde, Brésil, etc), celle intéressée des pays arabes. Sur le plan historique, la France a une légitimité d’intérêt mais que veut-elle ? Se hausser du col, fortifier l’alliance avec une puissance ou avec l’autre, sanctuariser le droit international ? Sanctifier un siège au CSNU ? Favoriser la défense européenne ? Promouvoir la stabilité du Proche-Orient ? Saisir l’occasion pour promouvoir une attitude européenne ?
La décision politique doit s’imposer, y compris dans les opérations militaires. En ce sens, il ne peut y avoir de légitimité politique sans réussite militaire. En s’engageant sans stratégie de règlement politique, Barak Obama comme François Hollande ont placé leurs pays respectifs dans une position de faiblesse très lourde de conséquences. En particulier, François Hollande a fait montre d’une exceptionnelle désinvolture dans ses prises de positions, ses décisions politiques internationales et ses reculades. La Syrie n’est pas (pour le moment) la guerre d’Espagne. Il n’est pas Blum et ne doit pas avoir peur de l’histoire. Mais, françois Hollande est clairement mis en difficulté au niveau international ; et avec lui, la France. Très prosaïquement, après le refus d’accepter la présence de la diplomatie Française aux négociations, il est à craindre que notre pays ne fasse les frais de l’accord défini entre les Etats-Unis et la Russie à Genève… et des erreurs dramatiques à répétition de notre exécutif !

Désillusion sociale… et tensions politiques


Le 20 février, après dix jours de manifestations contre la pauvreté, émaillées de violences, le Premier ministre bulgare, Boïko Borissov, a déposé sa démission au Parlement. Ces manifestations ont été déclenchées par la hausse brutale des factures d’électricité en janvier (les prix de l’électricité ont en fait augmenté de 13% en juillet dernier, mais l’impact de la mesure n’a été ressenti qu’au début de l’hiver). D’une façon plus générale, on peut considérer que c’est la crise économique et sa politique d’austérité, qui ont eu raison du gouvernement bulgare. En effet, la colère des Bulgares résulte avant tout de la hausse de la pauvreté dans tout le pays (salaire moyen mensuel à 800 levs soit 410 euros) et d’un taux de chômage atteignant 11.9%.
L’Italie est dans une impasse politique avec une Chambre des députés, à gauche et un Sénat sans réelle majorité. Certes, la gauche est majoritaire en nombre de voix et le centre-gauche de Pier Luigi Bersani est le parti vainqueur. Mais l’écart de voix entre le centre gauche et la droite de Berlusconi est très faible. A la Chambre des députés, au regard de la loi électorale qui donne une « prime » de 54% à la formation arrivant en tête, le nombre de sièges devrait se répartir entre 340 sièges pour la gauche et 290 pour la droite. Au sénat, en vertu de règles électorales différentes (prime de majorité par région), la gauche (malgré plus de voix) serait loin de la majorité absolue (158 sièges). Berlusconi, parti sous les huées fin 2011 est revenu à un haut niveau et ce en surfant sur les mesures impopulaires du gouvernement Monti. Monti ne remporte que 10% des voix dans chaque chambre et ne pourra assurer la grande coalition avec 17 à 20 sénateurs… A contrario, Beppe Grillo et son Mouvement 5 Etoiles (M5S) a surfé sur le mécontentement et le rejet grandissant de toute classe politique et obtient près de 25% des voix dans chacune de deux chambres et devient ainsi (provisoirement ?) la troisième force politique du pays… le populisme coïncide aussi en l’entrée d’un peuple en résistance contre ses élites selon Jacques Généreux… Le malaise social est là. La désillusion sociale aussi et elle sera fortement amplifiée dans les prochaines semaines et prochains mois… L’Italie est déprimée par la conjoncture économique et la récession (-2.2%), un pays perdant espoir dans son avenir… tout en possédant un excédent primaire… Aujourd’hui quasi-ingouvernable, certains risquent de choisir entre le pourrissement, la grande coalition éphémère ou le retour aux urnes afin de tenter de définir une nouvelle majorité…
En France, la gauche a porté lors de l’élection présidentielle d’immenses espoirs, tout particulièrement aux regards de l’entretien méticuleux du mensonge et de la démagogie. Elle déçoit donc très vite, y compris et surtout socialement, d’autant plus qu’elle a perdu son assise traditionnelle, mais en sus, elle s’enferme dans un déni de réalité… Alors que l’économie européenne et française ne peuvent plus être tirées par l’économie chinoise ou américaine, les prévisions économiques pour 2013 comme pour 2014 sont mauvaises : non seulement une croissance de l’ordre de 0,1% pour 2013 (je pense toujours que nous serons en récession comme pour l’ensemble de l’Union européenne), mais potentiellement une croissance 2014 de 0,4% (pour les prévisions les plus optimistes que je ne partage pas). Ce qui signifie donc, quasi mathématiquement, un déficit de l’ordre de 3,9% !!! Dès lors, l’exécutif français sera tenté (les premières annonces vont déjà en ce sens) à la fois d’instituer de nouveaux prélèvements et des mesures supplémentaires, conduisant à un effacement de tout potentiel de croissance et donc à une explosion du chômage, avec plus de 3,7 millions de chômeurs de catégorie A fin 2014 et plus de 5,6 millions toute catégorie confondue pour la France métropolitaine (plus de 6 millions si on y inclut les DOM-TOM). Ce double choc engendrera aussitôt une nouvelle contraction de la consommation comme une explosion des allocations à versées (dans l’hypothèse où ces dernières resteraient à niveau constant). Espérer un retour de croissance, même différé, pour fin 2013 ou pour 2014 semble illusoire…
Nous sommes désormais, conjointement, engagé dans une course vers le nivellement économique, voir demain vers une course à la dévaluation, ou pire, une course au défaut. Très clairement, malgré les différentes affirmations politiques, la zone euro risque fort au milieu de cette année 2013 ne plus pouvoir supporter le poids de la monnaie commune, encore monnaie unique pour quelque temps… Le désastre qui s’annonce est désormais d’une telle ampleur, que des mesures restrictives tant au niveau libre-échange que monétaire, voire d’urgences démocratiques pourraient voir le jour… La crise économique qui frappe l’Europe et le monde est en ce sens particulièrement inquiétante, car elle est, source d’une colère grandissante et profonde, d’une exaspération qui gagne tous les peuples… L’Union européenne était en charge d’assurer la paix… elle risque aujourd’hui d’engendrer non pas le mécontentement (cela est déjà fait) mais l’explosion sociale puis démocratique…
La société se stratifie avec des plafonds toujours plus résistants, rendant difficile toute évolution. Comme déjà dit, nous assistons à une baisse massive des revenus des ménages et à un déclassement du monde salarial, phénomène qui va en s’accélérant et dont la désindustrialisation est un symbole bien avant d’en être la cause, envoyant des millions de personnes à travers l’Union européenne vers la pauvreté. Face au sentiment de déclassement collectif mais d’abord perçu et vécu individuellement, face à la montée criante des inégalités, se pose la question fondamentale de la supportabilité, non seulement de nombreuses mesures, mais plus simplement, concrètement et réellement, des conditions de vie individuelles et familiales. En découle, ainsi, ces terribles tentatives d’immolation par le feu, que ce soit en France ou cette semaine en Espagne.
Nous assistons à une brutale et extrême régression économique et sociale, engendrant un sentiment d’abord diffus puis concret de désillusion sociale. Cette désillusion sociale, déjà forte en Europe comme en France va engendrer une explosion sociale, que malheureusement le gouvernement actuel fait sourdement monter… La désillusion sociale, c’est le cri de douleur de tous ceux qui n’ont plus rien ; de tous ceux qui souffre et dont la sécurité (professionnelle, alimentaire, culturelle, …) n’est plus assurée et que le reste de la collectivité ignore ; c’est l’abandon des dépossédés et l’angoisse de ceux qui redoutent de l’être ; c’est la servitude quotidienne de certains pour une vie que l’on ne maîtrise plus ; c’est aussi simplement le « non » jaillissant des poitrines des nouveaux gueux et des peuples à qui l’on a toujours exigé de dire « oui »… La désillusion sociale n’est pas le déni ou le refus de la réalité tragique de la vie humaine, c’est l’affirmation que transcendant cette tragédie, la vie à un sens commun et que le bien-être/bonheur existe… et notamment celui de l’appartenance du citoyen libre à une communauté de destin « le seul bien de ceux qui n’en ont pas » (Jean Jaurès) ; désormais mis à mal au profit d’une somme d’individus fier de leurs individualités…

Une réponse politique


La réponse est Politique. Uniquement Politique dans la volonté de résoudre en commun les problèmes mais en acceptant les principes de la « génétique stratégique » : une cellule qui grossit trop doit se scinder… Nous avons acheté du temps et nous nous sommes procurés de l’oxygène ; mais les problèmes structurels ne sont en rien réglés…Maintenant commence réellement la transformation de l’Union européenne ; maintenant doit débuter la reprise en main de l’Union européenne ; maintenant se décide la volonté de reprendre nos destins en main de façon autonome.
Soit nous ne sommes pas capables de nous entendre et les pays de l’Union européenne se retrouvent dans une situation identique à celle ante 1648… nouveau moyen-âge européen avec réinvention des nations et idées nationalistes. Si l’euro explose (une chance sur deux pour Attali dans une prise de position digne de nos grands intellectuels…), l’Union européenne implosera engendrant de fait une nouvelle grammaire du monde. Mais si l’euro explose, c’est aussi l’Allemagne qui se trouve exposée et assez largement mise en difficulté. Les excédents de paiement allemand sont nos dettes !
Nous soldons là, l’échec de trente années de politique européenne française et nous risquerions de redécouvrir le problème allemand.
La note même de l’Allemagne pourrait alors être remise en question et dégradée…Le cœur du système européen est désormais attaqué… Mais les artifices, y compris financiers ne suffiront pas, sauf à financer de la défaite, monétaire, financière d’abord, puis stratégique ! L’Union européenne s’est construite depuis 1987 au fil de l’eau sans tenir compte de l’évolution réelle du monde… L’union européenne deviendrait alors enjeu d’une partie de go stratégique entre la Chine et les Etats-Unis, un continent « low cost »….
Soit, nous décidons que nous avons un destin commun et nous avançons ensemble. Si nous nous donnons cette capacité, nous transformons le continent européen comme il ne l’a pas été depuis 1648… L’Union européenne deviendra enfin l’Europe, au sens d’un Etat réel… Fin de l’Europe financière au profit de l’Europe véritable… Fin d’une représentation faciale basée sur un mensonge stratégique au profit de la mise en adéquation d’une réalité stratégique… Là encore, nouvelle grammaire européenne, nouvelle grammaire mondiale, nouvelle géopolitique. La question politique centrale est donc de déterminer si nous sommes capables, ensemble, à près de 400 millions d’individus, de définir un destin commun et de récupérer notre souveraineté, même si elle est européenne.
La solution passe alors par une alliance entre la France et l’Allemagne. Les opinions publiques et les parlements devant y être associés, car est aussi testée actuellement, la solidité des liens entre la France et l’Allemagne. Nos deux pays se doivent aujourd’hui, seuls, d’aller de l’avant ; et d’autant plus que la commission européenne a disparu. Aller de l’avant, dans une intégration plus importante. Si d’autres pays européens décident de suivre, ils doivent accepter sans réserve les règles émises. La France et l’Allemagne représentent plus de la moitié de la puissance européenne, la moitié des droits de vote à la BCE et plus que le PIB de la Chine.
En réalité, nous allons vers une Union européenne, non seulement à plusieurs vitesses mais aussi à plusieurs cercles…