XI JINPING : tenir la maison sur le fil du rasoir


Le Parti communiste chinois s’est donc prononcé en faveur de la levée de la limite constitutionnelle de deux mandats pour celui qui fait déjà figure d’hyper-président, Xi Jinping, âgé de 64 ans. La convocation du Comité Central est totalement inédite (troisième plenum en moins de deux mois) avec de nombreux changements constitutionnels prévus au-delà de cette réforme des mandats présidentiels. Nécessité pour Xi Jinping de montrer son pouvoir face à un Comité Central dans lequel il est certes majoritaire mais de manière limitée. Il y a des oppositions à Xi Jinping, notamment dans le cadre des « vieux » militaires.

Est-il en train de consolider son pouvoir du fait d’une très grande puissance face à des freins certains et des capacités à s’opposer à lui ; ou assiste-t-on à une tentative désespérée pour regrouper tous les pouvoirs afin d’y rester ?

Depuis fin 2012 et son arrivée à la tête du Parti Communiste Chinois (PCC), Xi Jinping a rencontré de nombreuses difficultés : il a dû créer différentes commissions au sein du Comité central pour reprendre les rênes, il a dû mener une campagne anti-corruption large (plus d’un million de personnes poursuivis et écartés) pour reprendre le contrôle de certaines directions du parti et de l’Etat, … Le chemin de Xi Jinping fut difficile et il rencontra beaucoup de résistance sur son parcours politique, non pas dans la société chinoise (même s’il existe de réelles interrogations politiques au sein de la jeunesse chinoise et des aspirations sociales fortes, volonté de richesse), mais de la part de groupes d’intérêts au sein du parti même. Pays immense avec des pouvoirs locaux pouvant être forts et en capacités de « freiner » les réformes en fonction de leurs intérêts personnels et locaux. Or, l’un des enjeux fondamentaux pour Xi Jinping (exprimé dans de nombreux discours et dans ces deux livres) et le maintien/survie du PCC (ne pas toucher trop au système politique chinois) alors même que son propre programme de réformes est extrêmement ambitieux.

Le message de Xi Jinping est donc aujourd’hui de poursuivre « jusqu’au bout » les réformes entreprises…à l’horizon de son 80éme anniversaire (2032/2033) ; le nombre de mandats étant vu comme un obstacle « artificiel » sur le chemin de la stabilité et grandeur chinoise. La Chine à le culte du long terme et de la stabilité par peur du chaos (cyclique dans son histoire -chaos qui amène les puissances étrangères) et de l’immobilisme.

La décision de levée la limite constitutionnelle de deux mandats accentue donc en Chine, comme dans d’autres pays (Russie, Turquie, Arabie Saoudite, etc., voire les Etats-Unis…) le système de l’homme fort (souvent providentiel), nouveau leader « mondial » (Xi Jinping, Trump, Erdogan, MBS, Poutine, … et Emmanuel Macron) avec une perte totale des valeurs occidentales (contre-pouvoirs, élections libres, système libéral, etc…). Différents pays, dont la Chine, proclament haut et forts, ne pas vouloir devenir un pays « occidental » tout en favorisant chacun leur propre prosélytisme.

La Chine, toujours comme d’autres pays (Etats-Unis, Russie, Turquie, Iran, Arabie Saoudite, Grande-Bretagne, etc..), se cherche donc un nouveau modèle (à rapprocher du monde anglo-saxon qui avec le Brexit et l’élection de Trump fait sécession et rompt avec le modèle anglo-saxon originel). Déjà dit, mais répétons-le, ce que nous nommons pudiquement régime autoritaire aujourd’hui, nous risquons de le nommer bonne gouvernance demain…

Xi Jinping et ses proches conseillers sont (à raison) dans une conscience de crise. Ils sont persuadés, et Xi Jinping le premier, que la Chine rentre dans un contexte de crise ; conscience de l’entrée de la Chine et du monde dans une zone de turbulence existentielle.

A l’intérieur, car le pays nécessite des réformes difficiles (mise sous tutelle de différentes entreprises financières et industrielles, dettes des gouvernements locaux, entreprises d’Etat, etc…). Volonté établie de transformer radicalement l’économie du pays (PIB par habitant qui place la Chine au 70éme rang mondial alors que la Chine est la seconde économie mondiale), nécessité d’augmenter significativement la productivité (qui assure la hausse du niveau de vie) face à un net ralentissement de la croissance structurelle, en contrepoint des automatiques augmentation/levée de capital (la dette des entreprises privées en Chine atteint aujourd’hui les 200% du PIB) pour assurer la stabilité sociale interne. Le défi est donc de « nourrir » les espoirs de la jeunesse (niveau de vie avec une sortie de la pauvreté de près de 600 millions de chinois) face à la difficulté de « délivrer » l’économie (en arrêtant les injonctions massives de capital. De là, toujours aussi un besoin du monde extérieur (technologies – la moitié de l’investissement privé va à des innovations de rupture) et des Etats-Unis. Effets structurels et effets temporels s’affrontent et se renforcent paradoxalement.

Les dirigeants chinois sont pour autant relativement confiants dans la réussite de leur pays, comme de leur régime et système politique. Le déterminant, sont les réformes actuellement menées dans le domaine financier et industriel.

A l’extérieur, car la situation géopolitique change, tout particulièrement avec les Etats-Unis. Mondialisation qui n’est plus dirigée, tensions géopolitiques fortes… Ajoutons Taiwan (ambition personnelle de Xi Jinping de réunir les deux Chines), la Corée du Nord, les Paracels, Spratleys et Senkaku/Diaoyu, la nouvelle route de la soie (1 000 milliards de dollars d’investissement avec une vision 2049 !), la projection vers l’Afrique et l’Amérique Latine, réaction face à la projection des Etats-Unis vers l’Asie, lecture géostratégique face au Japon, à l’Australie, etc…

Conscience de crise toujours… Le contexte international est celui de crises à venir dans lesquels se cristallisent aussi la volonté d’affirmer le leadership chinois, dans une vraie stratégie, celle du long terme. Il est vrai que la lecture politique française se focalise et se projette dans un horizon de temps de 5 ans… Plus encore, nous (Européens et particulièrement les Français) sommes dans l’idéologie avec les Chinois à défaut d’être dans le pragmatisme (nos projets, nos règles, nos intérêts).

Mais en parallèle, pour la Chine, peur ou crainte d’étendre trop ses ambitions face à sa réalité géostratégique (monde multipolaire avec une logique multilatérale – « la communauté de destin de l’humanité »- remise en cause par la vision américaine d’un monde hétéropolaire avec des logiques bilatérales) dans une aspiration à un co-leadership mondial avec les Etats-Unis. Et nous ? La Chine ne « connaît » pas l’Union Européenne qu’elle restreint dans un cadre uniquement bilatéral.

Les Chinois veulent « redessiner » leur monde et le monde. Et les dirigeants chinois ont besoin de temps pour mener leurs réformes (en Chine, comme ailleurs, notamment en France), et ce dans une période de cristallisation géopolitique…

Besoin de temps, besoin d’autorité. Sorte de marche sur le fil du rasoir.

Penser l’impensable : le fait national-libéral


Ci-après une note rédigée en décembre 2016 suite à la victoire de Donald Trump pour un service gouvernemental Français.

Imprévisible élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis comme l’était l’imprévisible Brexit ! Imprévisible pour tous ceux qui refusent de penser l’impensable…
Lire une analyse et découvrir que le Brexit comme l’élection de Trump « ne se peut » car elle fait « figure de scandale » en dit long sur l’incompréhension du mouvement de fond et le refus de regarder en face la nouvelle réalité du monde. Pétrification idéologique, pétrification stratégique, qui conduisent à refuser le constat que dressait l’ambassadeur de France dans un tweet « tout est désormais possible » …
Trump et son entourage inquiètent… Certains analystes n’hésitent pas à décrier « la brutalité » du nouveau dirigeant, sa « violence verbale dans nos démocraties réglées », ou encore sa « dangereuse inculture » … Refusant cette réalité élective, ils espèrent d’abord un rejet de son élection par les grands électeurs, puis souhaiteront un impeachment… Les mêmes décrivent un « phénomène politique interne isolé » oubliant que si Trump remporte l’élection présidentielle américaine, la lame de fond électorale lui offre tout autant le Congrès (le Sénat et la Chambre des représentants), et, plus important encore, la Cour suprême.
Plutôt que de poursuivre les descriptions et jugements sommaires sur Trump, son style, sa coupe de cheveux, son équipe de campagne ou son entourage ; nous devrions nous interroger sur les raisons qui ont conduits tant les électeurs britanniques à produire le Brexit et les électeurs américains à produire Trump… car les deux phénomènes ont les mêmes origines et leurs conséquences géostratégiques sont de prime importance ; puis de là, tenter de nous projeter dans un avenir.

Une rupture du monde s’est produite en novembre 1989. La chute du mur de Berlin constitue, de manière symbolique mais aussi géopolitique, le début d’une période de transition. Un nouveau monde n’est pas né en 1991 au travers de l’affirmation d’un nouvel ordre mondial, ni même le 11 septembre 2001 ; car malgré les déclarations péremptoires, les démocraties n’ont pas changé le monde ! Bien, étonnamment, en 2016 avec la conjugaison du Brexit et de l’élection de Trump, se produit la rupture stratégique.
Depuis 1688 (Glorious Revolution), le monde anglo-saxon « fait » (détermine) le jeu mondial. Or, et c’est bien là l’important, les bouleversements se déroulent au cœur de ce monde anglo-saxon. Britanniques et américains ont rompu le consensus. Le Brexit, comme l’élection de Trump, c’est dire et affirmer vouloir faire autrement, et donc annonciateurs d’autres bouleversements. De là aussi, stratégiquement, la réaffirmation de l’Etat territorial. Une forme d’impérialisme américain d’un côté (forme d’Hégémon), recentrage national et retrait du monde de l’autre. Ce qui se traduit immédiatement dans les représentations américaines en matière de politique étrangère.
2008 fut l’année d’une prise en compte, le début d’une révolution et l’aube d’une dynamique. Celle, non plus de davantage d’interdépendance mais de plus de souveraineté. Révolution car les opinions anglo-saxonnes, hyper-individualistes, redécouvrent soudainement et profondément les vertus du « collectif ». En ce sens, aussi, quête culturelle identitaire et recherche de « valeurs traditionnelles » face à la globalisation. La dynamique remet en cause ce que les américains nomment « le consensus de Washington » et elle pose un constat : l’Etat-Nation, pour l’Occident comme pour son cœur qu’est le monde anglo-saxon, apporte des bénéfices que la mondialisation, non seulement ne peut apporter, mais désormais détruit.
Pétrification économique qui consiste à accumuler des richesses et du capital, non pas pour utiliser ces richesses et ce capital, mais à unique fin d’accumulation ; aboutissant par là à une pétrification sociale et à un élargissement entre possédants et non-possédants. Même pétrification dans notre modèle social français tant vanté, qui ne protège que les protégés et laisse dans le froid et sur le chemin des milliers (millions ?) de nos concitoyens précarisés et figés dans le non-emploi/vie précaire (précariat).
Le modèle anglo-saxon bouge car il ne fonctionne plus pour le plus grand nombre. Dénonciation du libre-échange, volonté de protéger et de défendre sa population, affirmation territoriale y compris dans la dimension « frontière » … En ce sens, révolution / transition américaine et britannique en cours, mais aussi (re)découverte de ce qui se joue sur le continent européen avec l’Allemagne et la Russie, et un basculement vers le fait national.

La victoire de Trump vient de la contestation du libre-échange qui détruit le peuple américain (les classes moyennes) ; une victoire qui surgit du cœur blanc de la démocratie américaine (démocratie blanche qui constate son déclassement démographique à terme) souffrant de la violence de la mondialisation. Trump a défini les maux ET la réalité américaine, du moins vécue par une part considérable de la population américaine (classes moyennes et classes dites populaires) : celle d’un quotidien déplorable issu d’une mondialisation et globalisation détruisant l’intérieur de la société américaine.
Obama laisse son pays dans un état catastrophique. Le rêve américain ? Oui, mais loin de l’être pour tous les américains pour lesquels les indicateurs socio-économiques exposent à la vue de tous (années 2010-2016) une nette dégradation du niveau de vie. Comme le démontre Olivier Delamarche, ce sont près de 102 millions d’américains qui sont sans emploi ; plus de 50 millions qui se nourrissent avec les bons d’aide alimentaire et 33% des américains qui sont désormais incapables de subvenir normalement à leurs besoins alimentaires ; ce sont près de 20% des jeunes adultes qui vivent chez leurs parents/grands-parents faute de pouvoir se loger ; c’est une mortalité en hausse dans la population blanche pour la tranche 45/54 ans ; … Le compromis socio-économique n’est plus tenu…
Ce malaise dans les classes moyennes et populaires (désormais affublées du terme « populistes ») conduit politiquement à une pression démocratique sur des sociétés qui ne sont déjà plus des sociétés démocratiques ; conséquence directe de la disqualification du Politique et de la démocratie représentative (démocratie twitter avec Trump ?). La démocratie, directe ou indirecte, n’est pas un régime de compétences ; tant au niveau des électeurs que des responsables et dirigeants politiques ; d’où son besoin impérieux d’une élite. En France, aussi sidérant que cela puisse être, celui qui se définit comme issu du corps des élites et qui entend répondre aux effets de la mondialisation et des souffrances engendrées, se nomme Emmanuel Macron. Curieuse campagne de fait que la campagne présidentielle française qui s’annonce, où François Fillon entend représenter l’antisystème, Jean-Luc Mélenchon veut abandonner le bruit et la fureur révolutionnaire, et Emmanuel Macron propose la révolution.
La situation américaine (interne comme externe) sera compliquée avec ou sans Trump, au regard du montant des dettes (niveau économique) et des détenteurs de cette dette (niveau géopolitique). Actuellement les Chinois vendent de la dette américaine, et les Japonais, derniers serviteurs zélés de l’Hégémon américain, achètent cette même dette, soit 1 070 milliards de dettes américaines supplémentaires entre le 31 décembre 2015 et 31 décembre 2016. Et la politique économique de Trump vise à augmenter cette dette…
Donald Trump indiquait clairement, dès avril 2016, que sa priorité serait désormais « l’Amérique d’abord ». Pour lui comme pour les Britanniques, forme de refondation et de recherche d’un développement autonome se recomposant autour de fondamentaux traditionnels.
Trump n’est pas en guerre contre le libéralisme économique. Theresa May, Xi Jinping et Vladimir Poutine sont sur la même ligne. Ne pas confondre libre-échangisme économique et interdépendance. Etablir des barrières tarifaires, des frontières économiques ou migratoires, des politiques protectionnistes, limiter la circulation des personnes et du capital, autant de mesures qui appartiennent aussi à la pensée économique libérale, et nous ramènent aux origines mêmes du développement économique du monde anglo-saxon. La remise en cause des accords d’échange sera donc une suite logique. Trump, de par sa personnalité, va favoriser des négociations bilatérales commerciales, dans une forme de diplomatie du deal, qui viseront d’abord à permettre un phénomène de réindustrialisation et de recentrage économique. Deal économique, deal commercial, deal géopolitique, …

Aussi surprenant que cela puisse paraitre, l’effet Brexit et l’effet Trump conduisent à un constat majeur : la question allemande va redevenir d’actualité. Mais de nombreuses questions restent en suspens et particulièrement celle de l’Euro/gouvernement de la zone euro. Et, là, certes les événements à venir au sein de la zone euro seront contraignants, mais plus encore l’attitude allemande.
De fait, au sein de l’Union européenne, devant l’abandon Français (la France est tétanisée par le vertige du déclassement), l’Allemagne visera à imposer ses intérêts économiques et géopolitiques avec davantage d’indépendance (et moins d’interdépendance), tant vis-à-vis de la France que de l’Union européenne ; ce que Steinmeeir à l’été 2016 annonçait déjà en indiquant que l’Allemagne se devait d’agir politiquement et économiquement « éventuellement avec l’Union » face aux puissances mondiales (signifiant par là-même en contrepoint sa volonté d’agir sans l’Union).
Le fait national allemand, c’est tout autant sa prise de contrôle économique et commerciale, sa toute-puissance monétaire au travers de l’euro, que dans un autre domaine sa politique migratoire. La question allemande que nous (re)découvrons, et qui ne va avoir de cesse de se développer pour les deux décennies à venir, devrait nous conduire à nous interroger profondément sur le devenir de notre relation avec la Grande-Bretagne.
Le Brexit n’est pas un souci économique pour les Britanniques mais un problème politique pour les pays européens, signifiant en terme politique une volonté de retour au peuple, en matière monétaire une nécessaire donc prévisible chute de l’euro, et en terme territorial comme stratégique, une Union européenne qui devra impérativement se modifier/corriger si elle souhaite perdurer (ce qui n’est pas acquis).
Vladimir Poutine en Russie, Trump aux Etats-Unis, Xi Jinping en Chine, mais aussi Angela Merkel en Allemagne et Theresa May en Grande-Bretagne, doivent nous amener à regarder le monde réel. Volonté du peuple américain de se désengager du monde, pas de ses dirigeants traditionnels (Clinton versus Trump). Volonté britannique de recouvrer sa liberté envers une bureaucratie bruxelloise jugée bien trop contraignante. Volonté russe de recouvrer une puissance malmenée depuis 25 ans, volonté allemande de se réaffirmer nationalement, volonté chinoise de restaurer l’Empire du milieu…

En laissant faire cette dérive stratégique qui nous isole doublement (isolement stratégique face à la Grande-Bretagne et isolement stratégique face à l’Allemagne), la France a bel et bien perdu (provisoirement ?) la main stratégique. Sommes-nous dans l’aveuglement ? Ce double choc a eu lieu. Il faut le regarder comme tel et non pas le nier. Or, de nombreux analystes et dirigeants politiques tentent de croire dans une illusion qui leur convient alors que nous sommes en train d’assister à la fin du système occidental. Il faut d’urgence accepter la réalité, fut-elle impensable. Faute de quoi, nous serions, nous Français, en train de quitter l’histoire !

Syrie et PMO


L’élargissement des vols de reconnaissance de la France dans ce qui semble désormais faire office de stratégie française, constitue d’abord et avant tout une réponse à l’opinion publique française. Il en est de même des premières frappes des forces aériennes françaises en Syrie, visant avant tout à affirmer une posture présidentielle française face à Vladimir Poutine et Barak Obama à New-York de crainte d’être désormais isolé… Sorte de volonté présidentielle de se hisser sur un strapontin à la table de négociations après quatre années d’errements moralisateurs par le biais de postures et terminologies martiale….
Des négociations ont lieu depuis plusieurs mois puis se sont intensifiés ces dernières semaines entre Américains, Iraniens et Russes sur la suite à donner. Les Russes veulent éviter l’effondrement de l’Etat Syrien et trouver une sortie « honorable » à Bachar. De là, depuis mai 2015 des entretiens bilatéraux entre Russes et Américains, puis élargies aux Iraniens (en bi puis trilatérale).
La personne de Bachar El-Assad est le point de fixation. Les atermoiements sur Bachar sont contre-productifs. La question n’est pas l’avenir de Bachar Al-Assad. Pactisez ou pas n’est pas la question. Personne ne conteste la réalité de Bachar Al-Assad et de son régime. Nous sommes dans un système complexe. La question est de trouver une solution politique. Introduire une dimension personnelle sur Bachar dans notre politique extérieure est (était) une erreur grave, aux conséquences funestes. Pour rappel à certains de nos politiques qui nous expliquent la « faute morale » à vouloir discuter avec Bachar, les propos de Churchill au début de la Seconde Guerre Mondiale, évoquant une alliance avec le diable si Hitler envahissait l’enfer…
En parallèle de ces premières initiatives diplomatiques, Vladimir Poutine a graduellement déployé des forces en Russie, mettant les autres puissances devant le fait accompli et ne reconnaissant son implication qu’à ce stade… Politique du fait accompli qui est la marque de Poutine depuis 2008, et qui après le Caucase du Sud, puis la Crimée, s’imbrique au sein du Proche et Moyen-Orient montrant ainsi la volonté russe de s’impliquer à nouveau dans les questions de cette zone. Certes, d’abord par le constat de la réalité du terrain, renforcé par le fait que les iraniens ont indiqué à la Russie ne plus être en mesure à reprendre le contrôle de certaines positions comme à protéger Bachar (entretien entre des responsables russes et iraniens de la Brigade Al-Qods). Mais, de manière plus profonde, rien de moins qu’un changement majeur dans les relations internationales, équivalent (effet boomerang ?) de son éviction de la scène internationale en 1991… Juste retour du balancier pour les russes… Mais, de fait, une période de transition s’achève, un nouveau monde est en train de naître….
A ce stade, et en Syrie, la Russie ne cherche pas à s’opposer frontalement aux puissances occidentales, mais cherche plus intelligemment à devenir le « leader » de la coalition anti-E.I et le garant d’une solution. Une coalition concentrée sur cet adversaire et non pas Bachar Al-Assad dans laquelle il veut amener les américains à définir avec lui les opérations à venir. C’est l’arrière-plan de sa position et de son discours.
Et cette habile manœuvre diplomatique n’a pas attirée que la Syrie et l’Iran. L’Arabie Saoudite depuis plusieurs mois a des entretiens réguliers avec la Russie tout comme l’Egypte ou encore la Jordanie. Le Premier Ministre Israélien a eu des entretiens avec Vladimir Poutine (dans une volonté de montrer son agacement vis-à-vis de la politique américaine mais aussi une nécessité de « coordonner » techniquement les opérations entre les deux pays puisqu’était présent outre le Premier Ministre, le chef des renseignements militaires ainsi que le Chef d’Etat-major de le Tsahal), suivi peu après par la Turquie. L’Allemagne a eu des entretiens discrets avec les russes sur le sujet, tout comme Kerry… Petit à petit donc, les européens et les américains s’alignent sur la position russe : simple principe de réalité ?
Un principe de réalité que nous n’aurions jamais dû omettre. La stratégie française en Syrie est en échec depuis quatre ans car en décalage profond avec les événements. Elle risque de l’être encore en partie au regard du décalage entre les déclarations stratégiques (nous voulons la destruction de l’E.I) et des moyens (frappes aériennes).
Et, il est tout autant « surprenant » d’entendre nombres de nos responsables politiques constater que nos frappes ont des effets limitées et/ou marginales ; qu’elles ne nous préservent pas du risque d’attentats terroristes contre nos intérêts (sur notre territoire ou à l’extérieur) ; qu’elles ne réduisent pas l’attrait au djihad de nombres de nos jeunes ; qu’elles ne nous procurent pas une place centrale mais une place marginale au sein des négociations diplomatiques ; etc… Serait-ce là une « surprise » pour eux ?
Au-delà, considérant les multiples déclarations de ces mêmes responsables politiques de droite comme de gauche demandant une intervention militaire contre l’E.I (avec des variantes burlesques) ; pour l’essentiel et à une notable exception, ce sont les mêmes politiques qui depuis 1981 n’ont eu de cesse, exécutif par exécutif, de mettre à mal l’armée française. Personne n’assume les conséquences de ces décisions passées et une contradiction majeure : les armées françaises n’ont plus les moyens des ambitions du pays, tandis que nombres de responsables souhaitent leurs assigner un engagement militaire hors de proportion… constat douloureux de personnels politique dégrisés.
Or, devant l’émotion des opinions publiques ; la confusion gagne conduisant nos responsables politiques effarés à vouloir fondre les problèmes en un seul : terrorisme, migrants, E.I ; et à décider de nouvelles phases d’opérations sans aucune perspective de solution pour l’après E.I. faute d’appréhender la complexité de la situation. Mais la virilité de la posture politique l’impose !
Sur le terrain, tout est fragmenté. Les acteurs sont multiples (plus de 2 000 katibas sur le terrain), les alliances diverses, variées et fluctuantes… tous les acteurs y compris régionaux ont des intérêts contradictoires, impliquant des ambiguïtés et des double-jeux politiques. Dans le viseur la Turquie, mais aussi les monarchies du Golfe….
E.I a une stratégie. Vladimir Poutine a une stratégie. La France n’a pas de stratégie. Le Président Français nous indique vouloir lancer une offensive sur Daech (qu’il conviendrait de nommer E.I) afin de « réduire la menace terroriste » (avec l’invocation de l’article 51 de la Charte des Nations unies), est-ce à dire que les frappes aériennes de la coalition depuis un an n’ont produit aucun effet ? Donc, est-ce à dire que notre stratégie initiale était fausse ou incomplète ? Est-ce à dire que nous allons frapper aussi au Yémen contre AQPA (responsable d’attentat contre la France) ? Est-ce à dire que nous aurions dû faire cela auparavant, y compris en 1995 ? Est-ce à dire, enfin et surtout, que nous pensons réellement que ces frappes aériennes vont dissuader et/ou empêcher tout nouvel attentat ?
Les frappes aériennes comme une potentielle offensive terrestre ne constituent pas une réponse globale. Une guerre, comme une offensive (terrestre ou autre) n’est pas une finalité politique. Juste un moyen. En ce sens, le choix de frappes aériennes définit l’objectif : non pas vaincre, juste contenir… ce qui est déjà quelque chose, mais en inadéquation avec les objectifs stratégiques. Un moyen devant permettre la mise en œuvre d’une solution / effet final recherché, soit dans le cadre préétabli, soit dans un nouveau cadre. On fait la guerre pour un devenir !
Voilà pourquoi, en Syrie et en Irak, rien ne se fera (et ne se fait) sans forces au sol… De là aussi, la nécessité impérieuse d’associer des puissances régionales : certes l’Iran que tout le monde cite, ou encore la Turquie, mais aussi l’Egypte.
E.I est une organisation née en Irak, qui s’est exportée en Syrie, puis répandue ailleurs du Maghreb à l’Asie. E.I est un projet politique révolutionnaire international, susceptible d’attirer à lui tout le monde. En ce sens, la problématique politique est autant chez eux (recomposition de la zone du PMO) que chez nous… de ce fait, il s’agit bien là, à l’œuvre, de transtensions mondiales remettant en cause « l’ordre mondial ». Un nouvel ordre va naître. Changement par le chaos et non pas les nouvelles croisades. E.I utilise un mythe et ces membres ne veulent pas être (plus être) les perdants de l’Histoire.
Ce qui se déroule actuellement en Syrie et en Irak, ne concerne pas uniquement ces deux pays, mais bien au-delà : le Proche et Moyen-Orient est en recomposition ; l’ensemble du monde arabo-musulman (appellation très impropre je le concède) est concerné ; l’Etat Islamique mais aussi des groupes comme Al-Nosra, sont dans un projet politique global avec de nombreuses ramifications. Refus de la modernité diront certains. Refus de notre modèle social, politique mais aussi économique (qualifié par eux de « barbare ») surtout bien avant des questions de religions. Question de souveraineté au sens de légitimité, tant individuelle que collective. Sorte de refus du « nous » que nos sociétés proposent au profit d’un « je » individuel devenant très vite un « nous » collectif pour une autre forme de société.
En Irak, en Syrie, en Libye, en Egypte mais aussi dans les zones tribales Afghano-Pakistanaises (un mouvement pro E.I émerge) les Etats traditionnels ont implosé dans une dynamique de recomposition à la fois territoriales (frontalières), sociétales et politiques (dans une logique d’agonie des différents régimes). Demain, d’autres pays seront concernés, en premier lieu l’Arabie Saoudite.
Face à des groupes djihadistes (Yémen, Mali, Nigeria, Afghanistan, Pakistan, Somalie, Libye, …) aux motivations multiples mais regroupés au sein d’un projet politique global, il nous faut nous adapter. Si nous avons su (partiellement) dans le passé faire face à des petits groupes variés, dispersés et géographiquement localisés ; nous devons appréhender la mouvance djihadiste adaptative actuelle de manière différente et elle aussi adaptative.
Sur le plan géopolitique, il nous faut d’abord donner des garanties aux populations diverses de la zone ; revoir avec l’ensemble des partenaires régionaux les problématiques frontalières, et travailler dans le temps long par le biais d’une diplomatie ambitieuse : c’est-à-dire ayant pour tâche de (re)nouer des relations difficiles et ne pas les refuser de prime abord.
Voilà pourquoi sans perspective de solution politique immédiate pour l’après E.I, notre combat militaire ne peut être que d’arrière garde : tenir la position et non pas de grande offensive terrestre. Tenir la position : renseignements toujours, cycle raccourci d’exploitations, frappes ciblées, politique assumée de décimation de l’ennemi (y compris lorsqu’ils sont de nationalité française ce qui risque de faire « tanguer » politiquement certains) et de ses chefs. Tenir la position, mais en étant assuré sur sa « vision politique », solide sur ses positions géopolitiques et morales ; affermit sur ses moyens, clair sur les conséquences de ses choix et actes, puissant sur sa volonté politique…

Ukraine : l’éclatement


Nous sommes très mal engagés. Poutine tient les cartes et le jeu et s’en va du sommet pour se « reposer » ce qui en dit long en termes diplomatiques sur ce qu’il pense de nous…

Désespérément, nous ne sommes pas au niveau diplomatique (La France et l’Union européenne).

Très clairement, notre diplomatie a commis une faute lourde à Maidan… et plus encore trois semaines avant lors d’une réunion du Quai faisant de la révolution en Ukraine, un axe de notre politique étrangère…

La situation ukrainienne inquiète suite aux résultats des élections avec l’apparition de zones de très fortes abstention dans des régions frontalières à l’ouest (Hongrie, Slovaquie) mais aussi au sujet de nombreuses tensions liées aux mouvements Svoboda et Pravy Sehtory.

Un constat : l’Ukraine est en train de se défaire. Elle se défait à l’Est avec l’insurrection séparatiste soutenue par les russes, mais plus encore la révolution de Maidan a fait exploser le fragile équilibre ukrainien (à l’instar de ce qui s’était déroulé en Yougoslavie).

L’éclatement est donc malheureusement la suite logique du processus…