Un monde en trans-tensions (2)


Au niveau économique, la planète entière est entrée en récession économique. La baisse actuelle et à venir du commerce international n’étant qu’un indicateur supplémentaire… La Chine vient de confirmer une nouvelle baisse de sa croissance économique, y compris avec des chiffres officiels en dessous des taux nécessaires à l’intégration des nouveaux travailleurs. L’économie indienne est en difficulté, tout comme sa monnaie, engendrant une nouvelle défiance des investisseurs. Le système financier occidental est officiellement insolvable. Le système financier asiatique l’est officieusement ; tandis que la Russie tente de manière précipitée de constituer une réserve financière. Les États-Unis tentent de modifier leurs différents indicateurs économiques afin de masquer la réalité de l’état de leur économie…et de leur monnaie. Ce qui signifie qu’il n’existe plus de moteur de croissance mondial… tandis que nous assistons à une évaporation régulière de la richesse mondiale…
Malgré tout, pour le moment, les États-Unis restent au centre du jeu alliant différentes caractéristiques : allié et adversaire, partenaire et ennemi stratégique, modèle de développement mais repoussoir social, partenaire et concurrent économique… Mais là encore, leçon de l’Histoire, c’est la puissance qui domine l’ordre international et qui devrait en être le garant, qui lui porte les coups les plus rudes…
Le second semestre 2012 et plus encore l’année 2013, vont coïncider avec une intensification planétaire des mutations en cours ; et donc à une intensification de la crise touchant désormais l’ensemble des principales puissances économiques : Union européenne, États-Unis, Chine, Brésil, Inde, Russie, … Les suites de l’affaire Bo Xilai montre que la Chine est à l’aube d’une nouvelle campagne anti-corruption ; en réalité une campagne d’assainissement politique au profit du régime, tandis que deux sensibilités politiques (pas encore des lignes politiques) se font jour (Hu Jintao et Xi Jinping versus Wen Jiabao, Li Keqiang et Wang Yang). Les dysfonctionnements internes doivent être l’objet d’une remise en cause du régime à l’heure où le ralentissement économique se fait jour ; mais ils mettent à jour un flottement à la tête du parti chinois. Plus encore, diverses affaires montrent qu’il est désormais important d’éloigner les étrangers trop zélés…
Au Proche et Moyen-Orient, là aussi, des trans-tensions importantes sont à l’œuvre actuellement, que ce soit, en Arabie Saoudite où la famille saoudienne se renferme sur elle-même alors qu’un processus d’éclatement est en cours en son sein suite au décès de Nayef… en Jordanie, à Bahreïn, mais aussi dans l’ensemble des pays dits arabes… Confiscation des révolutions ? Il s’agit là, malheureusement, d’un cas classique au regard de l’Histoire : toute révolution est détournée et les premiers à y perdre sont toujours les révolutionnaires…
A contre-courant des opinions occidentales et experts médiatiques enthousiastes (et naïfs), la démocratie n’allait pas apparaître subitement…le pouvoir dans ces différents pays est tombé (logiquement) aux mains des seules forces politiques structurées : d’une part les armées et services de sécurité, de l’autre les forces religieuses fondamentalistes (soutenues financièrement par les pétromonarchies théocratiques de l’Arabie Saoudite alliée des Etats-Unis au Qatar allié de la France…)
De la Tunisie à l’Égypte, les partis religieux fondamentalistes (Frères musulmans et salafistes) se partagent donc le pouvoir « parlementaire » dans une forme de co-gestion avec les forces militaires (qui sont aussi les acteurs économiques dominants). Bien évidemment, ne pas croire ce qu’ils disent. Ainsi des Frères musulmans annonçant au printemps 2011 sur la Place Tahrir qu’ils n’aspirent pas au pouvoir… Aujourd’hui ils revendiquent à la fois la présidence de la république, la majorité parlementaire… l’intégralité du pouvoir politique…puis de la société… En Tunisie des comités de vigilance religieuse sont apparus… En Égypte une chaîne réservée aux femmes voit le jour, une chaîne burqa !!!! Malheureusement, face à ces forces, celles démocratiques sont sans moyens (notamment financiers), et seront dénoncées et combattues comme d’inspirations étrangères…puis impies !!! Demain boucs-émissaires ?
Au-delà de la Tunisie et de l’Égypte, si la Libye et le Yémen ont déjà sombré dans la confusion ; la Syrie retient toute l’attention médiatique planétaire. Oui, Bashar el-Assad est un dictateur de la pire espèce…Pour autant, et sans aucune complaisance avec lui ni son régime, depuis les années 80 (1980 massacre d’Alep puis 1982 massacre de Hama) le pays a basculé dans une forme de guerre civile… Ensuite, le régime syrien actuel n’est ni le régime d’un homme seul, ni celui d’une famille. En Syrie nous sommes confrontés à un régime communautaire complexe et malheureusement le départ de Bachar El Assad ne modifierait en rien la réalité des pouvoirs et des rapports de force interne… Derrière Bachar El Assad, il y a non seulement l’ensemble des Alaouites mais aussi d’autres minorités (dont des Chrétiens). N’omettons pas aussi que les Alaouites sont considérés par les sunnites (majoritaires), non pas comme Chiites mais comme apostats… Dès lors, proposer comme seule solution, celle d’un régime sunnite à ces populations signifie simplement des luttes encore plus féroces !!!!
Nos déclarations politiques actuelles ne font qu’ostraciser plus encore des minorités (certes violentes) mais qui luttent pour ce qu’elles considèrent comme l’espace de leur survie. Aujourd’hui, le chemin le plus probable pour la Syrie est malheureusement celui de la guerre civile libanaise…Au-delà, si les États-Unis semblent vouloir (diplomatiquement) accepter un compromis avec l’Iran dans une posture nucléaire de seuil ; il est à craindre de part et d’autre que cela ne suffise pas…
Mais ces problèmes stratégiques semblent bien lointains à une Union européenne, empêtrée dans une incapacité à penser et à agir au sein d’une crise, certes économique, mais dont les dysfonctionnements sont d’abord et avant tout politiques… Ainsi, comment ne pas constater (très logiquement et surtout sans mésestimer les motifs allemands) que le SPD et le CDU se sont retrouvés sur la position budgétaire allemande… Que la position de la France est aujourd’hui fragilisée politiquement et stratégiquement ; alors même, répétons-le, que la France constitue à la fois le maillon faible et le pivot de l’Union européenne ; union politique qui ne peut être une simple continuité de la France…
Face à des logiques abusivement nationales, prônant des actions et solutions exclusivement nationales, démontrant la fin du consensus politique européen ; il est à craindre pour les pays de l’Union européenne et la France, un fort ajustement à la baisse de la richesse par habitants, avec une réduction de l’ordre de 30 à 40 %…. Après la disparition des consensus politiques et la montée des extrémismes, y compris comme recours, nous allons assister à l’éclatement des consensus sociaux…  La tyrannie des petites décisions, chaque État se préoccupant de ses intérêts nationaux sans esprit de coopération ; l’absence de perspectives ; l’effondrement des solidarités européennes, intra-européennes, nationales ; dans différents pays risquent de lier à la crise économique des crises sociales et sécuritaires, par l’effondrement partiel ou total selon les cas, des différents systèmes sociaux ; avec à terme des crises militaires dans une interaction conjoncturelle. Les tentations, puis peut-être, les tentatives de reprendre par la force le contrôle de zones et de richesses en train d’échapper aux différents pouvoirs politiques pourraient aboutir sur le territoire européen mais aussi occidental à des opérations armées. Paraphrasons Winston Churchill : vous avez voulu éviter la guerre sociale au prix de la dette. Vous avez la dette (et la faillite). Et vous aurez la guerre sociale….
Le printemps 2013 sera donc tout autant crucial pour la zone européenne, fût-elle à 27, à 17 ou à moins ; que pour l’Asie ; le continent américain et tout particulièrement la puissance américaine ; que pour l’espace arabe et Proche / Moyen-Oriental. Mais, bien au-delà, les dix-huit mois à venir vont être porteurs de ruptures géostratégiques importantes… En ce sens, les temps à venir de ce monde en trans-tensions vont être « fascinants »…

Emploi : deux visions du monde….


Sur le chômage, les politiques pouvant le faire réellement baisser, c’est-à-dire réellement efficaces; ne peuvent être que des politiques à long terme : soutien de la recherche, soutien de l’éducation, valorisation des PME innovantes exportatrices (notamment en évitant leurs absorptions par les grands groupes), accroissement de la productivité par le biais de mesures structurelles… bref des politiques au mieux à 5 ans, plus sérieusement à 10 ans !
A court terme, la demande en biens et services va se contracter du fait de la baisse des revenus, par la hausse pour les ménages du coût de l’énergie, et plus encore par la très mauvaise situation économique des partenaires commerciaux de la France… Plus encore du manque d’investissement des entreprises françaises, du trop faible niveau de gamme de la production, des contraintes fiscales, des coûts salariaux, de la restriction du crédit bancaire pour l’investissement… entraînant un net recul de la profitabilité des entreprises engendrant une désindustrialisation et donc une dégradation des parts de marché de la France dans le commerce mondial… Le potentiel de croissance de l’économie française devrait donc être de l’ordre de 1%… Dès lors, la poursuite de la montée du chômage constitue la perspective la plus probable.
Deux seules solutions à court terme : réforme fiscale visant à réduire le coût du travail (donc aussi baisse des cotisations sociales pour les entreprises) ; baisse du coût de travail horaire (avec potentiellement un allongement des heures travaillées). Peu de chance que ces réformes soient effectuées…
Politiquement, nous assistons à deux visions du monde différentes : une vision dynamique et une vision idéologique-mécanique dans laquelle il faut tout à la fois faire « payer les riches » et développer des emplois, c’est-à-dire sans connexion entre l’idéologie et la réalité…

Brises Stratégiques


Je vous propose ci-après la quatrième de couverture d’un court ouvrage de l’Amiral Thierry D’Arbonneau, isssu des notes  de cadrage stratégique visant à introduire le thème de la défense dans la campagne préisdentielle de 2012.

Les marins aiment la brise et la stratégie, ils peuvent aimer les marier à l’occasion.

Un nouveau Président est en fonction. Pas un mot ne s’est échangé sur la défense pendant la campagne électorale. Là comme ailleurs pourtant, ou même plus qu’ailleurs, il est nécessaire d’avoir un projet et d’abord de donner du sens à ce que nous voulons faire. Ce livre le propose par touches successives, dans le murmure de ses brises stratégiques.

La France a été le bon élève de l’OTAN à sa création mais cela ne dura pas. Après bien des rapprochements, notre réintégration a marqué le retour au bercail. Mais qu’est vraiment cette alliance ? De son côté, l’Europe de la défense est quasi morte de notre décision, même si son sort était scellé bien avant. Pourtant, que peut être l’UE sans puissance militaire reconnue, même modeste, sans qu’il existe une capacité militaire européenne ?

L’arme nucléaire reste au cœur des questions de défense. Au-delà de son pouvoir dissuasif, il faut réaffirmer son poids politique. L’arme nucléaire donne encore et toujours au pays qui en dispose une stature qui fait autorité. Les dernières modes ont voulu mettre la dissuasion en concurrence avec la défense anti-missile (DAMB). Mais celle-ci n’est pas de même nature. La dissuasion est une stratégie d’ensemble. La DAMB est un instrument défensif auquel on participe à volonté. On ne triche pas avec la dissuasion, sinon elle s’effondre, on manœuvre avec la DAMB pour en tirer le meilleur usage tout en favorisant son industrie nationale.

Dans la stratégie, l’emploi opérationnel des armées a retrouvé sa place, donnée par Clausewitz. Il faut agir non pas dans la précipitation sous la contrainte des faits, due à l’indécision inévitable des instances multinationales, mais rapidement, grâce à une préparation appropriée et à une anticipation aux aguets. Il faut alors savoir donner du sens au format des armées sans se limiter à une arithmétique simpliste qui ferait fi de tout projet politique.

Quelques lignes sur le rôle social des armées, sur l’industrie de défense viennent conclure ce rapide parcours, plaidoyer pour leur adresser une meilleure estime…

Thierry d’Arbonneau est amiral en retraite, ancien commandant des sous-marins nucléaires français et spécialiste de stratégie. Cadre dirigeant du groupe AREVA de 2005 à 2011, il exerce depuis un an comme consultant.

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Elections présidentielles en Egypte


Mohamed Morsi, candidat des frères musulmans, a remporté la présidentielle égyptienne en obtenant 51,73% des voix contre 48,27% pour Ahmad Chafiq, dernier premier ministre du Président Hosni Moubarak. Morsi, ingénieur de 60 ans, devient le premier dirigeant islamiste du pays le plus peuplé du monde arabe. Il est aussi le premier civil (mais un religieux et un ancien prisonnier politique) à devenir chef de l’État depuis 1952 (chute de la monarchie), ses prédécesseurs étant tous issus des rangs de l’armée. Par ailleurs il est l’ombre de Khairat al Chater dont la candidature à l’élection avait été invalidée.
Sa marge de manœuvre sera extrêmement réduite face au Conseil Militaire et aux forces armées (Conseil Suprême des Forces Armées – CSFA) qui ont récupéré le pouvoir législatif après la dissolution de l’Assemblée Nationale (mi-juin) contrôlée par les islamistes ; parallèlement le CSFA (au pouvoir depuis la chute de Hosni Moubarak) a dépouillé le chef de l’État de l’essentiel de ses attributions.
Nous assistons en réalité à des multiples tensions entre Islamistes et militaires, mais aussi entre laïcs et religieux… L’armée, qui vient de procéder à un coup d’état institutionnel, n’a cessé de réagir aux événements, de s’adapter à la situation afin de conserver son pouvoir et de faire face aux islamistes (une stratégie en réalité à l’œuvre tant en Égypte qu’en Tunisie depuis 15 mois). Par ailleurs, l’Armée voudra conserver un droit de regard sur la rédaction de la future Constitution. Un flou qui concerne aussi la composition du futur gouvernement… comme le non choix des électeurs Égyptiens entre la poursuite du modèle politico-militaire et la crainte de la théocratie (un quart seulement des électeurs se sont prononcés pour Morsi) … Au-delà des questions politiques, les défis sont considérables tant concernant les actions sociales à mener que concernant l’économie, le tourisme, les investissements… Et là n’est pas le moindre défi qui attend le nouveau Président élu…
Il est probable que les jours séparant l’élection des résultats ont été des jours de tractation entre les Frères musulmans et l’armée et donc qu’un compromis a été conclu… Que cherche le CSFA ? Revenir au statu quo ante et abolir les acquis de la révolution ? Marquer des points dans une négociation pour un partage du pouvoir avec les Frères musulmans ? Des garanties que leurs intérêts (économiques, budgétaires, et judiciaires ?) seraient pris en compte après avoir sacrifié politiquement Moubarak ?
Que recherchent les Frères musulmans ? Un retour aux valeurs de l’Islam et de l’arabité ? L’émergence d’une théocratie ? Quelles seront leurs relations / rapport de force avec les Salafistes ?
Que veulent les autres mouvements politiques issus de la Révolution, éparpillés mais représentant plus de 40% des électeurs inscrits…
Quel jeu, pour différents pays, allant de l’Arabie Saoudite à la Turquie, mais plus encore de l’Iran au Qatar ?
Quelles conséquences géopolitiques ? Probablement pas une remise en cause de l’équilibre régional ni des traités, mais plus certainement un appui renforcé au Hamas…
En conclusion, aucun des acteurs du processus de transition ne sait précisément où il va. Tous naviguent à vue en terrain inconnu, cherchant à marquer des points en prévision d’une situation future de rapports de force qui ira en s’intensifiant… les acteurs du processus savent qu’en Politique, suivant les préceptes de Machiavel, il importe autant d’être craint que d’être aimé… Les risques politiques sont donc forts… mais l’enjeu premier est d’ordre économique ce dont personne ne parle… Or, c’est sur ce dernier sujet que des boucs émissaires risquent de devoir être trouvés…