Trans-tensions (suite)


Deux chocs géopolitiques, l’un largement mésestimé, l’autre largement médiatisé, viennent de se dérouler au Moyen-Orient.
Le premier concerne l’’abdication de l’émir du Qatar le 25 juin, traitée par les médias et plus encore par nombres d’experts, d’une manière surprenante : ignorance du processus et des motivations pour les uns, simple processus de transition politique pour les autres, voire relégation à une suite logique de l’abdication de différents souverains sur le continent européen….
Or, le Qatar n’est, n’en déplaise à certains, ni une monarchie constitutionnelle européenne, ni une simple principauté sans politique extérieure… De fait, depuis la fin des années 90, le Qatar a développé une stratégie diplomatique visant à la fois à supplanter l’Arabie Saoudite dans la direction/contrôle de l’islam (y compris concernant les lieux saints) et à la fois à obtenir le soutien/protection des puissances occidentales…. Et ce, en s’appuyant sur les immenses ressources gazières de l’émirat ; ressources dont la possession demande le soutien militaire de l’occident face notamment à l’Iran dont le Qatar partage un gisement…
Les mannes d’argent ainsi octroyées par les réserves gazières ont permis au Qatar de développer une diplomatie active en soutien de l’islamisme salafiste et ce sur différents théâtres, allant de Gaza au Mali, de la Syrie à l’Egypte, de la Tunisie à la Libye, mais aussi vers nos banlieues… politique active souhaité par l’émir et mise en œuvre par son Premier Ministre et Ministre des Affaires Etrangères (son cousin), Hamad Ben Jassem.
C’est donc cette politique active qui a d’abord été remise en question par cette abdication ; et dont le point culminant a été un conseil de famille particulièrement violent entre les différents membres de la famille et opposant deux visions bien différentes : celle de l’émir déjà décrite, l’autre nettement plus patrimoniale et visant d’abord à assurer à la famille régnante une prospérité financière issue de placements financiers diversifiés… L’émir a donc été déposé, la famille plaçant à la tête son fils de 33 ans, jeune (donc contrôlable, espèrent certains), mais ayant une forte appétence pour les affaires financières et beaucoup moins pour l’activisme musulman…
Cette simple abdication a donc été immédiatement analysée et vécue par les pays du Proche et Moyen-Orient comme un changement majeur de politique étrangère et de stratégie de la part du Qatar ; provoquant y compris immédiatement des conséquences importantes comme la crainte du retrait financier qatari auprès des dirigeants égyptiens… précipitant la décision de l’armée à remplacer le Président Morsi… Il est à noter que la traduction immédiate fut d’abord et avant tout une reprise en main de la chaîne Al-Jazeera, y compris en Egypte.
Mais, les conséquences immédiates ne se cantonnent pas à l’Egypte. Au Maroc, le parti Istiqal a décidé de rompre son alliance de coalition politique… En Syrie le candidat soutenu par les Qatari à la direction de la coalition nationale syrienne a été battu par le candidat soutenu par l’Arabie Saoudite et les services secrets saoudiens… A Doha, brusquement le bureau des Talibans, ouvert le 18 juin, a été fermé… Restent à observer les conséquences à venir en Tunisie, en Syrie, en Libye, à Gaza au sein du Hamas, mais aussi en Arabie Saoudite même…
Le second concerne le coup d’état en Egypte qui exprime d’abord la volatilité des rapports de force entre les différentes forces sociales, politiques, économiques et sociales… La situation égyptienne démontre, aussi, les enjeux essentiels des processus de transition dans diverses sociétés issues de ce que nombres de personnes ont improprement défini comme le Printemps Arabe. Certes, la situation économique égyptienne explique beaucoup de mécontentements : 13% de taux de chômage, 12% d’inflation, déficit budgétaire de 12%, chute inexorable des réserves de changes, taux de croissance au ralenti…, mais ce qui vient de se dérouler en Egypte aura des répercussions majeures à l’échelle régionale, mais aussi au-delà, y compris au sein du conflit entre Sunnites et Chiites…
La déraison politique, y compris chez nous, est absolue… Entendre des politiques déclarer qu’il ne s’agit pas d’un coup d’état ; reprenant en cela les déclarations du général égyptien déclarant « répondre aux aspirations du peuple » (n’est-ce pas la règle et définition ?) témoigne pour le moins d’une absence, à la fois de compréhension de situation et du processus en cours, mais plus encore d’une réelle confusion mentale…
Par ailleurs, la rupture du processus démocratique risque de devenir la démonstration de l’impasse démocratique pour nombres de mouvements islamistes… et donc le recours au seul jihad comme voie politique… La seule interrogation stratégique qui vaille désormais est celle de savoir si ces mouvements pourront survivre si d’une part le soutien financier de différents pays se tarit à l’instar de celui du Qatar (quid de l’Arabie Saoudite donc ?) et si, enfin, les puissances occidentales comprennent réellement la situation…
Le chaos est malheureusement une voie probable tandis que l’armée risque d’être contrainte de rester au pouvoir plus qu’elle ne le souhaite…préférant une part d’ombre afin de contrôler depuis l’arrière-boutique comme elle le fait depuis des décennies… Les mois qui viennent nous diront si l’Armée sera en mesure de garder la main, au premier plan ou en arrière-plan, en évitant une dérive à l’Algérienne et le bain de sang concomitant…
Mais, au-delà de la simple situation égyptienne, c’est bien au niveau politique et géopolitique qu’il convient de se situer dans une perspective plus large, tant à l’échelle locale (Egypte), que régionale (Turquie, Syrie, Libye, Tunisie, …) et mondiale : les citoyens refusent désormais toute forme de monopole du pouvoir, y compris par la remise en cause de la légitimité électorale par celle, représentative immédiate de la rue. La Chine devrait se méfier… Nous aussi….