L’OTAN, l’Afghanistan et la France


Sur la scène internationale, pour la France, mais aussi l’Alliance, la guerre d’Afghanistan se termine. Le Sommet de Chicago a été en partie consacré à ce sujet, même si la smart défense fut aussi l’un des sujets. La France, et le nouveau Président Français, n’était pas attendu. D’autres rendez-vous internationaux sont plus importants et la France y est d’ores et déjà attendue… Paradoxalement, le Sommet de Chicago était plus important en termes de politique intérieure française, le retrait anticipé français ayant été l’un des points saillants de différenciation entre les deux candidats à l’élection présidentielle. Il s’agissait donc pour notre Président bien d’un test, mais d’abord à jauge nationale, que son intervention télévisée de mardi soir a implicitement reconnue…
L’image du Sommet est sauve. Les positions politiques des uns et des autres se sont exprimées et elles ont été prises en compte très officiellement ; trop même car en réalité bien des divergences diplomatiques se sont faites jour (entre la France et l’Allemagne à la fois sur le pacte budgétaire et le retrait anticipé d’Afghanistan ; entre la France et la Grande-Bretagne sur le pacte et la relation bilatérale de défense). Pour les États-Unis, l’enjeu du Sommet était d’éviter un effet boule de neige portant tout à la fois préjudice à l’Alliance et à la France devenue bouc émissaire de la précipitation d’autres retraits.
59éme engagement du candidat François Hollande : « j’engagerai un retrait immédiat de nos troupes d’Afghanistan. Il n’y aura plus de troupes françaises dans ce pays à la fin de l’année 2012 »… puis glissement stratégique par l’apparition de la terminologie « troupes combattantes » en mars. Ce seront donc les forces combattantes françaises qui quitteront le théâtre afghan d’ici la fin de l’année 2012. Il fallait en finir du mieux possible en Afghanistan, mais quelle terminologie étonnante que celle de « forces combattantes » : l’Afghanistan est une zone de guerre, tous nos soldats sont des combattants et sont d’ailleurs définis comme tels par nos adversaires.
Les affaires militaires sont exceptionnelles dans une démocratie en ce sens qu’elles référent à la vie et à la mort. Mettre en jeu la vie de soldats et l’assumer politiquement est la plus grande crédibilité stratégique d’une nation. L’engagement de militaires est donc une marche qui intervient comme expression de notre volonté politique lorsque d’autres marches ont été gravies. L’outil militaire devient un engagement politico-stratégique dans le sens strict du terme lorsque le Politique le décide, car la guerre est l’incarnation de la volonté politique ; il ne peut y avoir en la matière d’improvisation stratégique. L’inverse discrédite à la fois le Politique et le militaire. Forces combattantes, mot malheureux ; mais est-ce là seulement un mot, ou déjà l’apparition psychologique des maux ?
De fait, différentes questions se posent : quel est le sens de ce que l’on fait de, et dans l’Alliance ? Avons-nous tiré les conclusions de la fin de la Guerre froide ? Quel était le sens de notre engagement en Afghanistan ? Le Président Français venant de déclarer dans son discours de Nijrab que nous n’étions pas « mobilisés pour capter des ressources ou pour avoir une influence », quel sens et quelle ambition pour la France ? Sommes-nous matures stratégiquement ; c’est-à-dire en réalité, avons-nous la capacité de nous engager dans des opérations militaires tout en assumant la terminologie adéquate, y compris le mot guerre, comme l’aboutissement d’une politique ? Et, la stratégie étant le pont entre le politique et le militaire, quelle stratégie pour la France ? Il ne faudrait pas que notre réintégration dans le commandement intégré de l’Alliance se transforme davantage désormais en une résignation à l’impuissance, transformée en fuite en avant, et non en un projet politico-stratégique… La France tente de s’aligner sur des puissances symétriques mais sans assumer jusqu’au bout son positionnement stratégique… En ce sens, la Libye fut-elle la revanche de Suez ?
Nous assistons là, à un délitement du Politique (de l’exécutif d’hier comme de celui d’aujourd’hui), dans son incapacité à accepter un conflit voulu et mené dans le cadre d’une Alliance politique et militaire. Un état de grâce, politique comme stratégique, n’est pas éternel !
Beaucoup de questions donc. Et un constat. Ce retrait, pour ne pas dire retraite, se fait par réaction à la mort de 4 soldats français, tombés en janvier de cette même année. Axe certainement le plus important, celui des hommes et des femmes qui font notre défense, c’est-à-dire notamment ceux, qui sur le champ de bataille, servent la France avec abnégation, et qui se doivent de résoudre par la force et le droit ce que la raison n’est pas parvenue à faire. Mais, ce ne doit jamais être l’aggravation d’une situation sur un théâtre d’opérations, ou une urgence dictée par l’expression d’une émotion, fût-elle collective, électorale ou politique, qui doit justifier un retrait, mais la concrétisation des objectifs politiques et stratégiques. Il nous faut, soit accepter les conséquences de ce que l’on veut faire et obtenir, soit subir les conséquences de ce que l’on n’a pas voulu faire. Et, l’on ne fait jamais la guerre pour rien, encore moins pour le roi de Prusse…
Pour cette guerre d’Afghanistan, il s’est bien agi d’un bourbier, d’une guerre civile dans laquelle nous nous sommes situés avec simplisme dans la vision réductrice « Taliban égal terroriste ». Ce faisant, nous avons fait prendre un risque considérable à l’Alliance. L’engagement en Afghanistan et l’échec, nous donnent en héritage un appareil militaire marqué par une défaite. Le nier serait non seulement nier une évidence mais aussi refuser d’en tirer conséquences et enseignements. On apprend de ses échecs, rarement de ses victoires…
Plus grave, au-delà de ce nombrilisme stratégique Français comme occidental ; pour rapatrier nos hommes et sauver le soldat OTAN ; nous sommes tous – collectivement – prêts à tolérer dans cette zone une instabilité indéfinie avec les risques géopolitiques inhérents ; mais il est vrai, essentiellement d’abord, pour le Pakistan… sans en mesurer exactement (ou vouloir en mesurer) toutes les conséquences… Or, elles seront bien là ! Nous en reparlerons…

Cadrage stratégique


Au lendemain du Sommet de l’OTAN à Chicago, je vous propose ci-après l’intégralité de la première note de cadrage stratégique rédigée par Louis Gautier et remise à François Hollande, alors candidat à la présidentielle.

Election présidentielle 2012
A l’attention de François Hollande Note de cadrage n° 1
Objet : cadrage des grands enjeux doctrinaux stratégiques et de défense Europe-PESD/OTAN/dissuasion nucléaire/défense anti-missiles/OPEX

Les sujets mis en perspective dans cette note de cadrage : la défense européenne (Politique européenne de sécurité et de défense), l’OTAN, la dissuasion nucléaire, les opérations extérieures (OPEX), seront repris et développés dans les notes d’analyse ultérieures. Les positions arbitrées sur ces enjeux sont un gage de cohérence et de crédibilité. Les questions budgétaires et de programmation militaire seront traitées de façon séparée.

1. Europe de la défense
Une chose est sûre, l’Europe de la défense va mal et de plus en plus depuis 2003, date à laquelle les divergences sur l’Irak ont fait capoter la mise en œuvre effective des accords franco-britanniques de Saint-Malo (1998), du traité de Nice et de la déclaration de Laeken (2001) sur des forces européennes autonomes. Paradoxalement, la coopération militaire franco-britannique, issue de l’accord de Londres (novembre 2010) qui solde définitivement le passif entre Paris et Londres, est en soi positive mais s’effectue sur le dos de la défense européenne qu’elle dénigre. Il est donc vital d’ouvrir cette coopération à d’autres ou de la compléter par de nouvelles initiatives, notamment prises avec l’Allemagne, ce qui implique de réaffirmer l’importance du cadre européen au plan politique et la relance du processus d’intégration européenne au plan pratique. D’autant plus que le conflit Libyen est venu souligner des divergences de vues préoccupantes entre Européens, notamment avec l’Allemagne, et met en évidence les limites de leurs capacités d’action militaire, même sur un théâtre d’opération proche.
L’Europe de la défense est en panne sur le plan politique, sur le plan militaire et sur le plan industriel. Sa relance se heurte à tant d’obstacles concrets et à un tel scepticisme généralisé désormais qu’on serait tenté, comme Nicolas Sarkozy, de jeter l’éponge. Ce serait une erreur. La France confortablement assise dans un wagon de première classe à l’OTAN doit reprendre sa place de conducteur de la locomotive européenne. Patiemment elle doit être de nouveau à la manœuvre avec les Allemands, les Britanniques, les Polonais, les Espagnols, les Italiens, les Belges, les Grecs et tous ceux qui voudront collectivement s’atteler à la tâche. Pour cela, il faut à nouveau avoir vis-à-vis de nos partenaires un langage clair. L’OTAN est pourvoyeuse de moyens logistiques et de commandement mais, pour nous, la gouvernante politico-militaire des questions impliquant les appareils de défense européens doit se situer dans l’Union. Celle-ci doit être dimensionnée à cette fin, notamment en moyens de planification.
Conformément aux accords dits Berlin+, l’Europe doit pouvoir recourir aux moyens de l’OTAN quand les Américains ne sont pas engagés ; la préférence européenne en matière de commandes d’armement doit l’emporter face au déni d’accès du marché américain de défense que l’on a récemment constaté à l’occasion de l’attribution du contrat de ravitailleur à Boeing plutôt qu’à EADS ; il faut de même accroître la mutualisation et le financement commun des programmes militaires européens.

2. OTAN
S’agissant de la défense européenne, évitons cependant les querelles stériles. On ne sortira pas de l’OTAN. Il faudrait que cette volte-face présente plus d’avantages que d’inconvénients. Or, cette organisation est à une croisée de chemin et nous ne devons pas affaiblir notre capacité à influer de l’intérieur sur des réorientations collectives nécessaires. L’avenir de l’OTAN, l’affaire libyenne le confirme, quoique toujours important aux yeux des Américains n’est plus leur priorité. C’est en revanche devenu une question européenne : celle de leur unité face aux hypothèses d’emploi de la force, celle de la rationalisation de leurs appareils de défense en voie de délabrement sous l’effet des réductions budgétaires. Le manque d’intégration des armées européennes est aussi problématique politiquement pour l’UE que militairement dommageable à l’OTAN. La prochaine équipe au pouvoir devra, au terme d’un audit approfondi, s’interroger pour savoir si nous ne devons pas mieux répartir nos œufs, en fonction de nos objectifs, entre l’UE et l’OTAN.

3. Dissuasion nucléaire et défense anti-missiles
Ne perdons pas de temps en débats aussi périlleux politiquement que sans avantage stratégique immédiat. La dissuasion nucléaire, alors que la menace de la prolifération nucléaire et surtout balistique croît, conserve un rôle substantiel pour la défense de la France. La modernisation de nos capacités stratégiques, en passe d’être achevée, les situe parmi les plus performantes, après celles des Etats-Unis. La France détient de ce fait un incontestable avantage politique et militaire jusqu’en 2030, horizon d’obsolescence de ces armes et de montée en puissance des systèmes de défenses anti-missiles. Faut-il tailler dans cet arsenal dont la force océanique est le pivot ?
Supprimer la seconde composante qui vient juste d’être payée ne présente presqu’aucun intérêt en termes d’économies, le décider unilatéralement nous priverait d’un atout dans les négociations multilatérales de désarmement qu’il faut encourager (il faudrait en outre justifier de ne s’être jamais opposé au financement du renouvellement de la composante aérienne au cours des dix dernières années). Enfin l’avenir de la force aérienne stratégique ne peut se décider de façon péremptoire sans l’inscrire dans une discussion de portée plus générale sur les moyens de dissuasion conventionnelle et de supériorité aérienne.
Une chose est claire. Des arbitrages difficiles devront être rendus au cours du prochain quinquennat qui concernent les programmes de relève de notre dissuasion, leur révision ou leur abandon partiel (programme de simulation, renouvellement des composantes), la participation de la France à la défense anti-missiles de l’OTAN et plus généralement le financement des équipements qui dimensionnent la supériorité conventionnelle au XXe siècle (satellites, drones, missiles). Le domaine des équipements de supériorité nucléaire et conventionnelle doit être au coeur de la programmation militaire. Il y va de l’avenir technologique et militaire de l’Europe, de l’autonomie de ses approvisionnements stratégiques et de la survie de notre base industrielle qui suppose par ailleurs que l’on passe, à l’échelle européenne, à une nouvelle phase de fusion et de consolidation d’entreprises dans le secteur aéronautique et de défense.

4. Opérations extérieures et sécurité
Enfin, il est important de reformuler notre doctrine de projection extérieure et intérieure. Pour des raisons idéologiques évidentes, la gauche ne peut faire sienne les préjugés néo-conservateurs et la phraséologie de l’actuelle doctrine de sécurité nationale. Pour autant l’effacement des frontières entre sécurité intérieure et sécurité extérieure dans le monde actuel est une réalité à pleinement prendre en compte. Il faut donc être d’autant plus précis dans la définition politique et surtout juridique des concepts que nous allons devoir employer pour traiter cette réalité.
De même, il convient de réajuster nos positions en matière d’interventions et de pré-positionnement extérieurs. La notion d’arc de crise doit être abandonnée. Elle reflète mal la réalité géopolitique après les révolutions arabes et elle trahit une vision qui, dans la foulée de la lutte contre le terrorisme islamiste, appréhende le Proche et le Moyen-Orient de façon trop global exclusivement sous l’angle du danger et de l’antagonisme et non celui de projets communs et de coopérations possibles y compris dans le domaine de la sécurité. En tout état de cause, il convient d’ajuster le curseur sur nos engagements et notre présence militaires, en Afghanistan, à Abu Dhabi et en Afrique.
Le retrait d’Afghanistan est une priorité. Nous sommes enlisés sur ce théâtre et otage de la stratégie américaine. Les pertes en hommes vont en augmentant (le bilan du renforcement de notre implication dans les combats voulus par Sarkozy est à cet égard particulièrement lourd : 70 morts en opération entre janvier 2002 et juillet 2011 dont 58 depuis 2007). Il faudra établir dès 2012 un calendrier de désengagement progressif de l’Afghanistan discuté avec nos alliés.
En Libye, le mandat opérationnel de l’OTAN a pris fin. L’arrêt des combats ne signifie pas pour autant la cessation des troubles et l’instauration d’un état de droit. Il faut donc rester vigilant.
Il faut être très attentif aux conditions de la sécurité dans le Sahel et à la question des otages détenus par l’AQMI. D’une façon générale, la situation en Afrique, sous le double aspect humanitaire et sécuritaire, est telle qu’il est probable que l’implication militaire de la France sur ce continent restera importante.

Il découle de ces éléments une révision inévitable des priorités stratégiques formulées dans le Livre blanc de 2008 et une nécessaire mise à plat de la loi de programmation militaire (Cf. notes de cadrage à venir).

Préconisations et éléments de langage
La défense européenne, à la relance de laquelle il faut s’attacher, doit retrouver sa priorité ;
Il n’est pas question que La France se retire de l’OTAN mais une évaluation des bénéfices de notre réintégration, au plan national et européen, doit être effectuée ;
La dissuasion reste un élément de fondation de notre politique de défense mais son articulation avec les négociations sur le désarmement nucléaire et le projet de défense anti-missile doit être clarifiée ;
La modernisation des deux composantes nucléaires sera achevée (sans préciser toutefois ni le calendrier ni le volume des équipements) ; La question de l’abandon de la seconde composante peut être posée mais à son horizon d’obsolescence (2030).
Le budget de la défense ne saurait être une variable d’ajustement des finances publiques
L’interventionnisme militaire tous azimuts de la France doit faire place à plus de sélectivité des actions, à moins d’impulsivité dans les décisions d’engagements.