Désillusion sociale… et tensions politiques


Le 20 février, après dix jours de manifestations contre la pauvreté, émaillées de violences, le Premier ministre bulgare, Boïko Borissov, a déposé sa démission au Parlement. Ces manifestations ont été déclenchées par la hausse brutale des factures d’électricité en janvier (les prix de l’électricité ont en fait augmenté de 13% en juillet dernier, mais l’impact de la mesure n’a été ressenti qu’au début de l’hiver). D’une façon plus générale, on peut considérer que c’est la crise économique et sa politique d’austérité, qui ont eu raison du gouvernement bulgare. En effet, la colère des Bulgares résulte avant tout de la hausse de la pauvreté dans tout le pays (salaire moyen mensuel à 800 levs soit 410 euros) et d’un taux de chômage atteignant 11.9%.
L’Italie est dans une impasse politique avec une Chambre des députés, à gauche et un Sénat sans réelle majorité. Certes, la gauche est majoritaire en nombre de voix et le centre-gauche de Pier Luigi Bersani est le parti vainqueur. Mais l’écart de voix entre le centre gauche et la droite de Berlusconi est très faible. A la Chambre des députés, au regard de la loi électorale qui donne une « prime » de 54% à la formation arrivant en tête, le nombre de sièges devrait se répartir entre 340 sièges pour la gauche et 290 pour la droite. Au sénat, en vertu de règles électorales différentes (prime de majorité par région), la gauche (malgré plus de voix) serait loin de la majorité absolue (158 sièges). Berlusconi, parti sous les huées fin 2011 est revenu à un haut niveau et ce en surfant sur les mesures impopulaires du gouvernement Monti. Monti ne remporte que 10% des voix dans chaque chambre et ne pourra assurer la grande coalition avec 17 à 20 sénateurs… A contrario, Beppe Grillo et son Mouvement 5 Etoiles (M5S) a surfé sur le mécontentement et le rejet grandissant de toute classe politique et obtient près de 25% des voix dans chacune de deux chambres et devient ainsi (provisoirement ?) la troisième force politique du pays… le populisme coïncide aussi en l’entrée d’un peuple en résistance contre ses élites selon Jacques Généreux… Le malaise social est là. La désillusion sociale aussi et elle sera fortement amplifiée dans les prochaines semaines et prochains mois… L’Italie est déprimée par la conjoncture économique et la récession (-2.2%), un pays perdant espoir dans son avenir… tout en possédant un excédent primaire… Aujourd’hui quasi-ingouvernable, certains risquent de choisir entre le pourrissement, la grande coalition éphémère ou le retour aux urnes afin de tenter de définir une nouvelle majorité…
En France, la gauche a porté lors de l’élection présidentielle d’immenses espoirs, tout particulièrement aux regards de l’entretien méticuleux du mensonge et de la démagogie. Elle déçoit donc très vite, y compris et surtout socialement, d’autant plus qu’elle a perdu son assise traditionnelle, mais en sus, elle s’enferme dans un déni de réalité… Alors que l’économie européenne et française ne peuvent plus être tirées par l’économie chinoise ou américaine, les prévisions économiques pour 2013 comme pour 2014 sont mauvaises : non seulement une croissance de l’ordre de 0,1% pour 2013 (je pense toujours que nous serons en récession comme pour l’ensemble de l’Union européenne), mais potentiellement une croissance 2014 de 0,4% (pour les prévisions les plus optimistes que je ne partage pas). Ce qui signifie donc, quasi mathématiquement, un déficit de l’ordre de 3,9% !!! Dès lors, l’exécutif français sera tenté (les premières annonces vont déjà en ce sens) à la fois d’instituer de nouveaux prélèvements et des mesures supplémentaires, conduisant à un effacement de tout potentiel de croissance et donc à une explosion du chômage, avec plus de 3,7 millions de chômeurs de catégorie A fin 2014 et plus de 5,6 millions toute catégorie confondue pour la France métropolitaine (plus de 6 millions si on y inclut les DOM-TOM). Ce double choc engendrera aussitôt une nouvelle contraction de la consommation comme une explosion des allocations à versées (dans l’hypothèse où ces dernières resteraient à niveau constant). Espérer un retour de croissance, même différé, pour fin 2013 ou pour 2014 semble illusoire…
Nous sommes désormais, conjointement, engagé dans une course vers le nivellement économique, voir demain vers une course à la dévaluation, ou pire, une course au défaut. Très clairement, malgré les différentes affirmations politiques, la zone euro risque fort au milieu de cette année 2013 ne plus pouvoir supporter le poids de la monnaie commune, encore monnaie unique pour quelque temps… Le désastre qui s’annonce est désormais d’une telle ampleur, que des mesures restrictives tant au niveau libre-échange que monétaire, voire d’urgences démocratiques pourraient voir le jour… La crise économique qui frappe l’Europe et le monde est en ce sens particulièrement inquiétante, car elle est, source d’une colère grandissante et profonde, d’une exaspération qui gagne tous les peuples… L’Union européenne était en charge d’assurer la paix… elle risque aujourd’hui d’engendrer non pas le mécontentement (cela est déjà fait) mais l’explosion sociale puis démocratique…
La société se stratifie avec des plafonds toujours plus résistants, rendant difficile toute évolution. Comme déjà dit, nous assistons à une baisse massive des revenus des ménages et à un déclassement du monde salarial, phénomène qui va en s’accélérant et dont la désindustrialisation est un symbole bien avant d’en être la cause, envoyant des millions de personnes à travers l’Union européenne vers la pauvreté. Face au sentiment de déclassement collectif mais d’abord perçu et vécu individuellement, face à la montée criante des inégalités, se pose la question fondamentale de la supportabilité, non seulement de nombreuses mesures, mais plus simplement, concrètement et réellement, des conditions de vie individuelles et familiales. En découle, ainsi, ces terribles tentatives d’immolation par le feu, que ce soit en France ou cette semaine en Espagne.
Nous assistons à une brutale et extrême régression économique et sociale, engendrant un sentiment d’abord diffus puis concret de désillusion sociale. Cette désillusion sociale, déjà forte en Europe comme en France va engendrer une explosion sociale, que malheureusement le gouvernement actuel fait sourdement monter… La désillusion sociale, c’est le cri de douleur de tous ceux qui n’ont plus rien ; de tous ceux qui souffre et dont la sécurité (professionnelle, alimentaire, culturelle, …) n’est plus assurée et que le reste de la collectivité ignore ; c’est l’abandon des dépossédés et l’angoisse de ceux qui redoutent de l’être ; c’est la servitude quotidienne de certains pour une vie que l’on ne maîtrise plus ; c’est aussi simplement le « non » jaillissant des poitrines des nouveaux gueux et des peuples à qui l’on a toujours exigé de dire « oui »… La désillusion sociale n’est pas le déni ou le refus de la réalité tragique de la vie humaine, c’est l’affirmation que transcendant cette tragédie, la vie à un sens commun et que le bien-être/bonheur existe… et notamment celui de l’appartenance du citoyen libre à une communauté de destin « le seul bien de ceux qui n’en ont pas » (Jean Jaurès) ; désormais mis à mal au profit d’une somme d’individus fier de leurs individualités…

Quels résultats ?


Quelles analyses des résultats de ce premier tour des élections présidentielles, dans ce qui ressemble pour la France, à un champ de ruines avant l’heure ?
La campagne a été primaire et relativement pathétique, ne correspondant à aucun moment aux véritables enjeux de notre pays. De fait, le discours politique s’est cantonné à l’affirmation de certitudes et d’évidences… Aucun grand discours mobilisateur avec une vision. La question centrale n’est pas de définir les mesures qui comptent, nous les connaissons et les français les connaissent ; mais bien de définir leur supportabilité, c’est-à-dire en réalité de poser et définir les trajectoires de sorties… vivrons-nous mieux dans 5 ans, 10 ans, qu’aujourd’hui ?
La réponse, pour évidente soit-elle ne va pas sans le dire ! Et donc, collectivement définir les bénéfices des « réformes » attendues permettant au corps social d’encaisser ces fameuses réformes qui ne serviront à rien tant l’ampleur demande en réalité de réinventer… Ainsi de l’école, des retraites, de la santé, de la protection sociale ou encore du travail… Et de l’Union européenne… Mais pour cela il faut modifier le cadre de raisonnement et donc in fine le système lui-même. Se pose alors la question de la capacité à emmener la nation, alors que la situation réelle de la France est niée par les différents candidats… La France est déjà l’Espagne, mais elle ne connaît pas encore l’austérité grâce au parapluie allemand !
Concernant l’appréciation des résultats, le taux de participation signifie que l’offre politique dans sa diversité était satisfaisante. Au-delà, cela confirme d’abord et avant tout l’analyse de l’un de nos billets précédents : la France est déclassée, profondément et durablement divisée voir éclatée, mais aussi fiévreuse et désireuse de révolution. Nous entrons bien dans des temps prérévolutionnaires.
Le vote populiste était attendu, il fut au rendez-vous-même si les instituts de sondage connaissent (a priori) des difficultés à analyser le vote des électeurs radicaux. Mais plus encore, concernant l’appréciation de ce vote, défini exclusivement comme un vote de colère, un vote contestataire… Il y a désormais une idéologie sous-jacente, celle de la remise en cause du cadre de référence et du système, car ce dernier pour des millions de personnes ne fonctionne plus. Voilà aussi pourquoi il est nécessaire de cesser toute idée de réforme et réinventer un cadre, un système social et économique permettant à la fois croissance et justice sociale. C’est certainement là où le Président Nicolas Sarkozy a failli. Les réformes annoncées par lui n’ayant pas toutes opérées (y compris le slogan « travailler plus pour gagner plus »), le système est défini comme inopérant. L’hypocrisie politique française est de ne pas accepter la revendication d’une action politique que l’on sait nécessaire mais que l’on ne veut pas voir évoquée. Et nous retrouvons cette idéologie populiste patrimoniale (suivant l’expression de Dominique Reynié) autant au FN qu’au FDG…
L’austérité est une politique. La croissance n’en est pas une et ne se décrète pas, y compris par son inscription dans un traité. Cette incompréhension économique réelle de part et d’autre va de pair avec la confusion entre le long et le court terme, entre l’équilibre budgétaire et l’éternelle dichotomie hausse des impôts / baisse des dépenses (quel que soit le Président élu, nous assisterons à une hausse de la TVA et de la CSG dans une clé de répartition de l’ordre de 40% de hausse des impôts et 60% de baisse des dépenses).
Au-delà, et plus fondamentalement, la dette française dépassera les 90% du PIB, contraignant le prochain Président à une politique incontournable induisant les conséquences déjà mises en évidence dans un billet précédent et ayant (déjà) provoqué une levée de boucliers de la part de responsables politiques…qui pourtant livreront globalement la même bataille, avec des instruments et des raisonnements intellectuels surannés !

LW